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Billie Holiday (née Eleanora Fagan, Baltimore, 7 avril 1915 - New York, 17 juillet 1959) était une chanteuse de Jazz américaine. Bien que moins populaire que ses contemporaines Sarah Vaughan ou Ella Fitzgerald, Lady Day, comme on la surnomme, a toujours séduit un public d'amateurs, et est considérée comme l'une des plus grandes divas que le Jazz ait connues.
Sa voix unique, rocailleuse et lyrique à la fois, portait les stigmates d'une vie douloureuse. Marquée par ses souffrances, excessive, fragile, Billie trouva dans le chant le peu de paix et de liberté qui lui était promis, avant sa mort prématurée à quarante-quatre ans.
Eleanora Fagan naît à Baltimore en 1915. Sa mère, Sadie Fagan, a 19 ans et son père, Clarence Holiday, en a 17. Dans Lady Sings the Blues, Billie Holiday, réécrivant son histoire, enlève quelques années à son père, plus encore à sa mère, et en fait un couple marié. C'est l'une des nombreuses déformations de la réalité que Billie elle-même entretenait et dont son autobiographie a prolongé les effets. La réalité est un peu moins idyllique. Clarence et Sadie ne se sont jamais mariés. Clarence Holiday ne reconnaît pas l'enfant, il est guitariste de Jazz, et passe sa vie dans les clubs la nuit, sur les routes le jour. Sadie, sa mère, n'a pas le temps de s'occuper d'Eleanora et la confie à sa famille : la fillette va d'un foyer à l'autre tandis que sa mère enchaîne les petits boulots à Baltimore, tout en voyageant souvent à New York où elle multiplie les rencontres masculines, en général rétribuées.
La petite Eleanora n'a pas la vie aussi facile : elle endure les violences de sa tante Ida, et subit un premier traumatisme : un jour, alors qu'elle fait la sieste dans les bras de son arrière grand-mère, celle-ci meurt dans son sommeil. Eleanora se réveille étranglée par les bras de la morte et panique. Elle restera plongée dans un mutisme coupable pendant des semaines.
Sadie reprend Eleanora à sa charge après quelques années. Elle a dix ans lorsque, pendant l'une des nombreuses nuits que sa mère passe dehors, elle est violée par un voisin. Elle est par la suite confiée au couvent du Bon Pasteur, où les maltraitances et les humiliations sont monnaie courante. Sadie parvient à en faire sortir sa fille et la reprend avec elle, à New York où elles vivent désormais. En 1928, Sadie se prostitue et installe Eleanora dans un bordel. La vie de la jeune fille est faite d'hommes, de violences, d'un détour en prison. En plein Harlem, sous la Prohibition, Eleanora découvre les boîtes clandestines, où l'alcool coule à flots et où le Jazz résonne du soir au matin. Presque par hasard, Eleanora rencontre un jeune saxophoniste, Kenneth Hollon, et décroche avec lui ses premiers engagements, dans le Queens et à Brooklyn. Elle a quinze ans et se choisit un nom de scène. Pas n'importe lequel. Lorsque, petite fille, son père passait la voir, il riait de ce garçon manqué et la surnommait Bill. Elle reprend ce sobriquet qu'elle adosse au nom de son père, qu'elle parvient d'ailleurs à retrouver à l'époque, alors qu'il joue dans l'orchestre de Fletcher Henderson. Billie Holiday est née.
En 1933, John H. Hammond, producteur pour Columbia, découvre Billie dans un club où elle chante par hasard, à l'occasion d'un remplacement. Immédiatement convaincu de son talent, il lui ouvre les studios de Columbia pour une session avec un autre jeune musicien sous contrat avec la firme, le clarinettiste Benny Goodman : ce jour-là, elle enregistre Your Mother's Son-in-Law et Riffin' the Scotch, et y gagne trente-cinq dollars. L'année suivante, elle chante avec Bobby Henderson à l'Apollo, la salle à la mode où l'on vient applaudir les jeunes talents. Leur liaison cesse peu de temps après, Bobby étant déjà marié. Billie rencontre d'autres musiciens prometteurs : parmi eux, Lester Young, engagé par Fletcher Henderson. La chanteuse et le saxophoniste se lient immédiatement d'amitié. Lester la surnomme Lady Day, Billie le surnomme President, ou plus brièvement Prez. Elle et lui sillonnent les clubs après leurs engagements respectifs, du soir au matin.
Elle devient dès lors l'une des vedettes du jazz new-yorkais, à travers de nombreux engagements qu'elle partage régulièrement avec Teddy Wilson. Le style de Billie, intimiste, s'adapte mal aux plus grands shows, réservés à Bessie Smith et à ses imitatrices. Peu importe : ses disques avec Lester Young se vendent bien et Billie chante bientôt avec le grand orchestre de Count Basie, puis avec celui d'Artie Shaw. Une chanteuse noire dans un orchestre blanc ! La tournée avec ce dernier est pourtant écourtée, à cause du Racisme des États du sud, où elle ne peut pas chanter, ni même réserver une chambre d'hôtel ou entrer dans un restaurant avec les musiciens de l'orchestre.
En mars 1939, un jeune professeur de lycée, Lewis Allan, écrit un poème et le met lui-même en musique. Il proposa ensuite à Billie Holiday d'interpréter Strange Fruit. Cette métaphore du lynchage des noirs dans la brise du sud devient la chanson-phare du Café Society et de Billie. La chanson déchaîne la controverse, et l'enregistrement qui en est bientôt tiré rencontre un immense succès.
Article détaillé : .
La reprise par Billie de Gloomy Sunday en 1941, une chanson de désespoir sur le thème du suicide traduite du Hongrois à l'anglais dans les Années 1930, prolonge ce succès dans un registre similaire, bien que moins engagé.
Billie divorce de Monroe et enchaîne de nouveau les aventures, jusqu'à sa rencontre avec Joe Guy, un trompettiste be-bop qui la fournit en Héroïne. À l'époque même où elle est la première artiste noire à chanter au 'Met', où elle signe un contrat en or chez Decca, elle se retrouve sous la coupe de Joe Guy, dépendante à l'héroïne… Billie en parle sans concession :
« Je suis rapidement devenue une des esclaves les mieux payées de la région, je gagnais mille dollars par semaine, mais je n'avais pas plus de liberté que si j'avais cueilli le coton en Virginie. »
Dans les clubs, il se murmure qu'elle ne respecte pas ses engagements, qu'elle est souvent en retard, qu'elle se trompe dans les paroles. En 1945, Joe Guy monte une grande tournée pour Billie : "Billie Holiday and Her Orchestra". La tournée est déjà bien entamée lorsque Billie apprend la mort de sa mère Sadie, Duchess, comme l'avait surnommée Lester. Billie est effondrée, elle sombre dans la dépression, elle se réfugie un peu plus dans l'alcool, la drogue, et écourte sa tournée.
À la même époque elle renoue avec Joe Guy et adopte le LSD. Son imprésario Joe Glaser lui impose une cure de désintoxication dans une clinique privée, début 1947. En vain : quelques semaines plus tard elle est arrêtée en possession de stupéfiants et condamnée à un an de prison. Billie fait scandale, et se trouve de plus dans une situation financière difficile : ses royalties ont disparu dans la drogue et les poches des hommes qui l'entourent… Elle sort de prison le 16 mars 1948, pour bonne conduite, mais ruinée. Le 27, elle chante à Carnegie Hall, plus belle que jamais, la voix épanouie, ses éternels gardénias dans les cheveux. Elle chante jusqu'à l'épuisement : vingt et une chansons, plus six pour les rappels. Un triomphe.
Malgré tout, Billie se produit avec Lionel Hampton à la radio, et avec Count Basie au Strand Theatre. Elle sort désormais avec John Levy, gangster de seconde zone que l'on surnomme par dérision « Al Capone ». A l'époque, elle entretient également une relation lesbienne avec Tallulah Bankhead, comédienne de bonne famille, et a une courte relation sexuelle avec Marlene Dietrich. Cependant, Billie est toujours plongée dans l'héroïne, et le retrait de sa carte la force à chanter hors de New York, des engagements moins intéressants et moins bien rétribués. En outre, John Levy amasse désormais tout ce qu'elle gagne et la terrorise. Elle se fait prendre en possession de stupéfiants à San Francisco. En réplique, Tallulah Bankhead fait jouer ses relations, dont J. Edgar Hoover, alors directeur du FBI, grâce à quoi Billie est acquittée. Malgré cela les ennuis persistent : elle subit toujours les violences de John Levy, son accompagnateur et ami Bobby Tucker l'abandonne, la police la suit de près et elle manque plusieurs fois de se faire prendre en possession d'héroïne… La presse ne manque pas une occasion de titrer sur elle, comme Down Beat en septembre 1950 : « Billie, de nouveau dans les ennuis ».
Lors d'un enregistrement en 1949 pour Decca, avec notamment Horace Henderson, Lester Young et Louis Armstrong, Billie a bien du mal à tenir le rythme, elle se fait remarquer par ses retards, ses excès, et une diction de plus en plus empâtée par l'alcool. Decca ne renouvelle donc pas son contrat en 1950, Billie est plongée dans les dettes jusqu'au cou : John Levy, qui encaisse ses cachets, n'a payé aucune facture. Lorsqu'elle le quitte, elle perd beaucoup d'argent, mais retrouve une certaine liberté. Billie reste toutefois contrainte à faire de longues tournées puisqu'elle ne peut toujours pas chanter à New York. Fin 1950, elle renoue avec le succès à Chicago, en partageant l'affiche du Hi-Note avec le jeune Miles Davis.
En 1951, Billie Holiday trouve une petite maison de production, Aladdin, pour laquelle elle enregistre quelques disques, mal reçus par les critiques. Elle rencontre également à Detroit un de ses anciens amants, Louis McKay, qu'elle avait connu à Harlem quand elle avait 16 ans. Marié et père de deux enfants, Louis McKay devient néanmoins son nouveau protecteur et contribue à relancer sa carrière. Elle s'installe sur la côte ouest, et signe un contrat pour le label Verve de Norman Granz. Elle retrouve alors des partenaires dignes d'elle : Charlie Shavers à la trompette, Barney Kessel à la guitare, Oscar Peterson au piano, Ray Brown à la contrebasse, Alvin Stoller à la batterie et Flip Philips au saxophone. Résultat : le disque Billie Holiday sings obtient un franc succès et est suivi de plusieurs autres sessions. Billie se voit néanmoins de nouveau refuser son permis de travail et alterne les tournées fatigantes et les grands concerts (à l'Apollo, à Carnegie Hall).
1954 voit Billie réaliser un vieux rêve : sa première tournée en Europe. Accompagnée de Louis McKay et de son pianiste Carl Drinkard, elle se rend en Suède, au Danemark, en Belgique, en Allemagne, aux Pays-Bas, à Paris, en Suisse. Elle repasse par Paris en touriste, avant de rejoindre l'Angleterre où ses concerts sont couronnés de succès. Une tournée fructueuse et l'un des meilleurs souvenirs de Billie. De retour au pays, malgré la drogue, malgré l'alcool, elle se surpasse. Elle se produit à Carnegie Hall, au festival de jazz de Newport, à San Francisco, à Los Angeles, et continue d'enregistrer pour Verve. Down Beat lui décerne un prix spécialement créé pour elle. Elle embauche aussi une nouvelle accompagnatrice, la jeune Memry Midgett. Leur relation est plus qu'amicale, et Memry aide Billie dans ses tentatives pour décrocher de la drogue. En vain. Son influence ne plaît d'ailleurs pas à McKay qui la fait déguerpir.
Le 2 avril 1955, Billie Holiday retrouve Carnegie Hall où elle participe au grand concert en hommage à Charlie Parker, mort le 12 mars. Aux côtés de Sarah Vaughan, Dinah Washington, Lester Young, Billy Eckstine, Sammy Davis Jr., Stan Getz, Thelonious Monk… Billie clôt le concert, aux alentours de quatre heures du matin. En août 1955, elle enregistre un nouvel album pour Verve : Music for Torching, un chef d'oeuvre qu'elle réalise en compagnie de Jimmy Rowles au piano, Sweets Edison à la trompette, Barney Kessel à la guitare, Benny Carter à l'alto, John Simmons à la basse et Larry Bunker à la batterie. Puis, elle retrouve les clubs de la côte ouest.
Elle apparaît au festival de Newport, ainsi qu'à la télévision, dans l'émission The Sound of Jazz, sur CBS, en compagnie, entre autres, de Lester Young, Coleman Hawkins, Ben Webster, Gerry Mulligan et Roy Eldridge, mais aussi du jeune Mal Waldron, son nouvel accompagnateur.
Louis McKay et Billie se marient le 28 mars 1957 au Mexique, pour ne pas avoir à témoigner l'un contre l'autre lors de leur procès. Mais leur histoire est bel et bien terminée. Une fois le jugement prononcé (une mise à l'épreuve de douze mois), McKay quitte définitivement Billie et celle-ci engage une procédure de divorce. Elle enregistre Lady in Satin en février 1958, avec des chansons entièrement nouvelles et un orchestre dirigé par Ray Ellis, auteur des arrangements. Un album poignant, de même que son tout dernier, simplement intitulé Billie Holiday, enregistré début 1959. Elle fait également une apparition au festival de jazz de Monterey en octobre 1958, et effectue une nouvelle tournée européenne au mois de novembre. Elle est sifflée en Italie, où sa prestation est abrégée. À Paris, elle assure à grand-peine un concert à l'Olympia, exténuée. Sa tournée prend l'eau. Elle accepte de jouer au Mars Club avec Mal Waldron et Michel Gaudry à la contrebasse : le public est tout acquis à Billie qui y retrouve le succès. On se bouscule dans le Mars Club, on y retrouve les célébrités de l'époque : Juliette Gréco, Serge Gainsbourg, ou encore Françoise Sagan qui écrira :
« C'était Billie Holiday et ce n'était pas elle, elle avait maigri, elle avait vieilli, sur ses bras se rapprochaient les traces de piqûres. Elle chantait les yeux baissés, elle sautait un couplet. Elle se tenait au piano comme à un bastingage par une mer démontée. Les gens qui étaient là l'applaudirent fréquemment, ce qui lui fit jeter vers eux un regard à la fois ironique et apitoyé, un regard féroce en fait à son propre égard. » - Françoise Sagan, Avec mon meilleur souvenir, Gallimard, 1984
La cérémonie funèbre se déroule le 21 juillet 1959 en l'église St. Paul. Trois mille personnes sont présentes et se bousculent jusque dans Columbus Avenue. Elle est enterrée au cimetière St. Raymond, dans le Bronx, dans la même tombe que sa mère. Louis McKay fait déplacer son cercueil dans une tombe séparée en 1960. À sa mort, Billie laisse à son ex-mari et seul héritier, mille trois cent quarante cinq dollars. Et ses droits : à la fin de 1959, en seulement six mois, les royalties sur ses ventes de disques s'élèvent à cent mille dollars. De quoi avoir une bonne idée de ce que Billie a pu dépenser aussi bien que de tout ce dont elle a pu être spoliée.
Mais ce que l'on entend aussi c'est qu'elle y met tout son coeur. Le charme opère toujours, jusque dans Lady in Satin, album raté pour certains, mais qui occupe une place particulière dans la discothèque des vrais amoureux de Billie. L'arrangeur et chef d'orchestre, Ray Ellis, sorti épuisé d'un enregistrement où la diva lui fit vivre un calvaire, refuse à l'époque d'assurer le mixage. Mais quelque temps plus tard, en entendant l'album, en constatant l'infinie tristesse qui caractérise des chansons comme I'm a Fool to Want You ou You've Changed, Ray Ellis comprend la portée artistique d'un tel témoignage, et accepte d'enregistrer avec Billie son album-testament, Billie Holiday. Le musicien a évoqué plus d'une fois le souvenir de l'enregistrement de Lady in Satin :
« Je dirais que le moment le plus intense en émotion fut de la voir écouter le playback de I'm a Fool to Want You. Elle avait les larmes aux yeux. Quand l'album fut terminé, j'ai écouté toutes les prises dans la salle de contrôle. Je dois admettre que j'étais mécontent de son travail, mais c'est parce que j'écoutais la musique, pas l'émotion. Ce n'est qu'en entendant le mixage final, quelques semaines plus tard, que j'ai compris que sa performance était vraiment formidable. »
Rapidement, certaines chanteuses tentèrent d'imiter son style, généralement sans succès. Son influence se ressent par ailleurs chez certaines personnalités plus jeunes, et qui prirent leur leçon, surtout, dans la décontraction de Billie. C'est le cas notamment de Frank Sinatra, qui l'admirait tant et était devenu l'un de ses amis les plus proches à la fin de sa vie, ou encore d'Abbey Lincoln. Dans la décennie 1970, Diana Ross (qui joue avec succès son personnage dans l'adaptation cinématographique de Lady Sings the Blues), Esther Phillips ou encore Nina Simone assument sans complexe leur filiation à Lady Day. Il en va de même pour Janis Joplin, chez qui l'on retrouve l'influence de Billie dans un tout autre registre.
Ses chansons ont également participé à cette influence, notamment God Bless the Child, mais aussi Strange Fruit et Gloomy Sunday, qu'elle s'était si aisément appropriée.
L'influence de Billie se ressent aujourd'hui directement sur beaucoup de chanteuses de jazz, qui supportent d'ailleurs assez mal la comparaison avec leur modèle. Macy Gray a admis cette influence. Ce n'est pas le cas de Norah Jones, d'Erykah Badu, ni d'ailleurs de Madeleine Peyroux, bien que la similitude soit évidente dans ce cas précis.
Attention : cette liste n'est pas exhaustive, il y manque notamment la plupart des enregistrements live, souvent de qualité médiocre. On connaît à ce jour plus de 660 enregistrements de Billie Holiday. Pour plus de détails consulter la liste des sessions ci-dessus.
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