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La plupart des ouvrages consacrés à Edgar Degas, lorsqu’ils désirent le classer dans l’histoire de l’art, le rattachent au grand mouvement de l’Impressionnisme, formé en France dans le dernier tiers du XIXe siècle en réaction à la peinture académique de l’époque. Les artistes qui en font partie, tels Claude Monet, Paul Cézanne, Auguste Renoir, Alfred Sisley, Mary Cassatt, Berthe Morisot (1841-1895), Camille Pissarro, las d’être régulièrement refusés aux Salons officiels, s’étaient constitués en société anonyme afin de montrer leur art au public.
On résume souvent l’art impressionniste au rendu du plein air et aux effets de lumières. Ces caractéristiques ne sont toutefois pas applicables à Degas : même s’il est un des principaux animateurs des expositions impressionnistes, il ne trouve sa place dans le mouvement qu’au nom de la liberté de peindre prônée par le groupe. Au plein air il préfère, et de loin, « ce que l’on ne voit plus que dans sa mémoire ». Il aurait un jour dit à Pissarro : « Il vous faut une vie naturelle ; à moi la vie factice. »
Si Degas fait officiellement partie des impressionnistes, il ne les rejoint pas dans leurs traits les plus connus. Sa situation d’exception n’échappe pas aux critiques d’alors, souvent déstabilisées par son avant-gardisme. Plusieurs de ses images ont semé la controverse, et encore aujourd’hui l’oeuvre de Degas fait l’objet de nombreux débats auprès des historiens d’art.
Edgar Degas repose au Cimetière du Montmartre à Paris, dans le tombeau familial.
Après son baccalauréat, il commence à fréquenter le Cabinet des Estampes de la Bibliothèque nationale. Dessinateur inlassable, il y copie des oeuvres de Albrecht Dürer, Andrea Mantegna, Paul Véronèse, Francisco Goya, Rembrandt. Il passe ses journées au Louvre, fasciné par les peintres italiens, hollandais et français. En 1854, il s’inscrit à l’atelier du Lyonnais Louis Lamothe, élève assez médiocre de Dominique Ingres et des frères Flandrin. De son côté, son père, amateur raffiné d’ART et de Musique, lui présente quelques-uns des plus grands collectionneurs de Paris, comme Lacaze, Marcille, et Valpinçon.
En 1855, il commence à suivre des cours à l’École des Beaux-Arts de Paris ; cependant, préférant approcher directement l’art des grands maîtres classiques tels Luca Signorelli, Sandro Botticelli et Raphaël, il entreprend de 1856 à 1860 de nombreux voyages en Italie, d’abord dans sa famille à Naples, puis à Rome et Florence, où il se lie d’amitié avec le peintre Gustave Moreau.
Ses oeuvres de jeunesse comptent quelques peintures d’inspiration néoclassique, mais surtout de nombreux portraits des membres de sa famille. De 1865 à 1870, il propose au Salon son oeuvre en cours. De 1874 à 1886, Degas envoie des oeuvres aux expositions impressionnistes à l’organisation desquelles il participe très activement. Il a alors de très nombreux contacts avec des peintres de sa génération, notamment Pissarro, mais aussi avec des artistes d’avant-garde plus jeunes.
Malgré ses voyages en province et à l’étranger, c’est Paris qui compte essentiellement pour Degas — et à Paris, Montmartre. Il fréquente certains cénacles, ateliers, cafés littéraires et mène avec quelques bourgeois, ses intimes, une vie conformiste de célibataire hautain. De son milieu familial, il conserve la réserve et le respect des principes. Sa délicatesse de coeur, son intransigeance morale lui valent l’estime de tous. Il participe activement aux discussions qui réunissent les jeunes artistes d’avant-garde et son ami Édouard Manet au café Guerbois.
À partir de 1875, en proie à de nombreuses difficultés matérielles, la peinture devient sa source de revenu. Dans les années 1880, alors que sa vue commence à décliner, Degas privilégie le Pastel, auquel il mêle parfois l'Aquarelle et la Gouache. Les tableaux de cette période témoignent d’un travail très moderne sur l’expressivité de la couleur et de la ligne. À la fin des années 1890, presque aveugle, il se consacre quasi exclusivement à la sculpture, qu’il pratique déjà depuis une dizaine d’années, transposant ses sujets favoris dans la cire. L’exposition de vingt-six paysages qu’il présente en octobre 1892 à la galerie Durand-Ruel est sa première et dernière exposition personnelle. À partir de 1905, le peintre se retranche de plus en plus dans son atelier, luttant contre la cécité qui le gagne. Presque aveugle depuis quelques années, Degas meurt d’une congestion cérébrale à Paris le 27 septembre 1917, âgé de 83 ans. Il est inhumé au cimetière de Montmartre. L’année suivante, les oeuvres accumulées dans son atelier et son importante collection sont dispersées aux enchères.
La faillite de sa famille (mort de son père, problèmes financiers de son frère Achille), son caractère difficile, son esprit mordant, ses boutades féroces, ses positions souvent intransigeantes, la progression inexorable de ses troubles oculaires, ont pu contribuer à accentuer la misanthropie si souvent dénoncée de ce vieux célibataire. Cependant, il semble que cette réputation a été souvent exagérée. Plusieurs indices prouvent en effet que, même âgé, il continuait à s’intéresser à la création, recevant des artistes dans son atelier jusqu’à son déménagement en 1912.
Même à la fin de sa carrière, Degas n’abandonna pas l’approche académique qui consiste à mettre en place une composition à l’aide de dessins préparatoires, et notamment d’études d’après modèle vivant. De la même façon qu’il préparait ses tableaux d’histoire, il a souvent recours au dessin pour ses dernières scènes de la vie moderne. Il continue à appliquer les préceptes d’Ingres. Se souvenant des nus féminins d’Ingres comme la « Baigneuse Valpinçon », il dessine ses femmes à leur toilette, en cernant d’un trait sombre et sensuel les contours de leur corps.
Dans sa dernière période, Degas fait en effet de plus en plus appel à des coloris éclatants, voire criards, et à des harmonies de couleurs complémentaires. En digne successeur de Delacroix, il libère sa palette de toutes contraintes pour peindre selon ses propres termes des « orgies de couleur ». En 1889, Degas voyage à Tanger sur les pas de son illustre prédécesseur.
Pour ces scènes de la vie moderne, il a parfois recours à des effets lumineux expressifs et invente des mises en page très audacieuses (cadrages ingénieux). Le genre du paysage est certainement celui que Degas a le moins travaillé, même s’il a exécuté une série ponctuelle de paysages au Pastel. Enfin, les premières tentatives de sculptures demeurent quant à elles marginales par rapport aux huiles sur toiles, avec lesquelles Degas met progressivement en place une « Nouvelle peinture » qui s’épanouira au cours de la décennie suivante.
C’est vers cette époque qu’il commence à explorer certains thèmes nouveaux, comme les repasseuses, les modistes ou les femmes à leur toilette. Cultivant son goût des expérimentations techniques, il recherche des moyens picturaux inédits. Ainsi, en 1877, il présente une série de monotypes, parfois rehaussés de pastels, qui témoignent d’une économie de moyens et d’une liberté de facture très novatrices.
Cette époque de la vie de Degas est donc marquée par des innovations techniques qui vont de pair avec des innovations formelles : Degas multiplie les points de vue audacieux, en plongée ou en contre-plongée (voir « Miss Lala au cirque Fernando »). Jouissant de la spontanéité que lui permet le travail du pastel, il recherche des effets lumineux et colorés très originaux, s’attachant par exemple avec ses nus très réalistes de 1886 à traduire les vibrations de la lumière sur le corps des femmes. Il dit d’ailleurs à propos de ses nus : « Jusqu’à présent, le nu avait toujours été représenté dans des poses qui supposent un public. Mais mes femmes sont des gens simples... Je les montre sans coquetterie, à l’état de bêtes qui se nettoient. » C’est souvent pour de tels propos qu’il fut traité expéditivement de misogyne : c’est pourtant moins la volonté délibérée d’insulter la beauté des femmes que l’extrême souci d’une implacable véracité anatomique qui transparaît dans son approche.
On a souvent expliqué l’évolution de la palette de l’artiste par l’aggravation de ses troubles oculaires. L’usage de ces couleurs audacieuses est pourtant indissociable d’une affirmation de la puissance expressive de la ligne. Degas ne néglige en effet jamais la structure formelle : pour mettre en place ses compositions, il a parfois recours à un dessin sous-jacent au Fusain et utilise régulièrement des dessins préparatoires. L’usage intensif qu’il fait de la sculpture participe également de cette volonté de ne pas négliger la structure formelle, recherchant pour chaque figure la justesse des mouvements et l’équilibre des volumes..
En référence à sa fidélité pour quantité de règles classiques mais aussi à ses nombreuses innovations, on a pu écrire à son sujet en 1919 : « Il a jeté un pont entre deux époques ; il relie le passé au plus immédiat présent. »
Bien que célèbre aujourd’hui, Degas reste encore un « mal aimé » par rapport à Vincent van Gogh, à Paul Gauguin et même à Henri de Toulouse-Lautrec, et on lui refuse l’importance qu’on accorde à Paul Cézanne. Mais la postérité exauce ainsi son voeu : « Je voudrais être illustre et inconnu. »
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