Jean de l'Ours
Jean de l'Ours est le nom le plus courant d'un personnage mythique, héros de nombreuses versions d'un conte populaire. Il s'agit d'un être hybride, mi-humain, mi-animal, né d'une femme et d'un ours, et doté d'une force surhumaine qui lui permet de surmonter diverses épreuves. La « folklorisation » progressive de ses différentes versions a tendu à atténuer la nature fondamentalement duale et ambiguë du personnage, écartelé entre sa nature animale, sauvage, païenne voire satanique, et son humanité aspirant au spirituel et à la religion, pour en faire un gentil « nounours », héros positif. Dans des versions anciennes Jean de l'Ours terrifie les gens par sa laideur et fait le mal sans le vouloir par sa force démesurée. Des récits identiques sur le fond mettent en scène le fils d'une jeune femme et d'un Maure ou Sarrasin, dernier survivant des anciens envahisseurs, sorte de brigand maléfique ayant perdu tout caractère humain ; le fils Mouret est amené à la rédemption par sa mère et l'amour d'une jeune fille. Mais ailleurs il finit par rejoindre son père dans le « côté sombre ». Le thème de Jean de l'Ours est l'un des plus répandus dans le monde : son extension recouvre Europe, Asie occidentale, Inde, Chine, Afrique du Nord, anciennes colonies européennes, Indiens de l'Amérique du Nord. Jean de l'Ours dans les PyrénéesDans la mythologie pyrénéenne, « Jean de l'Ours » est un des contes les plus connus. Alors qu'il disparaissait progressivement des forêts européennes, l'ours est demeuré très présent dans les Pyrénées en tant que fauve redouté, piégé, chassé, à la fois prédateur et proie. Paradoxalement, c'est le constat de sa disparition annoncée qui a retourné l'opinion générale en sa faveur. Partout dans cette chaîne de montagnes comme dans d'autres pays et dans plusieurs langues, du Juan Artz ou Xan de l’Ours des Basques jusqu’au Joan de l’Os catalan, on retrouve l’histoire d’un enfant velu né de l’accouplement d’un ours et d’une femme. Cette histoire reflète le rôle mythologique joué par l’ours qui est lié à la fécondité, en Europe comme ailleurs. La Mythologie basque l'assimile parfois à Basajaun ou Baxajaun (le seigneur sauvage de la forêt, pluriel : Basajaunak), une ancienne race d'humains forts, poilus et sauvages, vivant dans les Pyrénées, le plus souvent dans la Forêt d'Iraty. Il est probable que cette croyance résulte d'un anthropomorphisme de l'ours en raison de son attitude proche de l'homme quand il se redresse sur ses pattes arrières. Dans certaines légendes, le Pic du Midi d'Ossau représente la tête de Jean de l'Ours. D'un point de vue toponymique dans les Pyrénées, Jean est parfois considéré comme une déformation francisée de « gens » ou « géants ». Différentes versionsLa structure générale du conte se compose, schématiquement, de plusieurs épisodes dont les contenus peuvent varier, mais où l'on retrouve des éléments constants. Paul Delarue ( le Conte populaire français) l'a classé comme conte-type (301 B) dans la catégorie « Les princesses délivrées du monde souterrain », dans laquelle l'origine ursine du héros, bien que majoritaire, n'est pas déterminante (il existe de nombreuses versions où le personnage est un soldat). - Une jeune fille, ou jeune femme, est enlevée par un ours d'une taille prodigieuse. Il l'enferme dans une caverne en roulant un énorme rocher devant l'entrée, il lui apporte à manger, à boire, se vêtir. Au bout de plusieurs mois, le jeune femme met au monde un enfant fils de l'ours, velu et fort comme son père : Jean de l'Ours. L'enfant grandit très vite et lorsqu'il est devenu assez fort, il pousse le rocher et fuit avec sa mère. Dans certaines variantes les origines de Jean de l'Ours sont moins clairement définies (la femme déjà enceinte met au monde l'enfant après avoir simplement vu l'ours).
- Il commence une vie nouvelle parmi les hommes, avec des fortunes diverses (grâce à sa force, il rend de nombreux services, mais il tue ses camarades d'école sans le vouloir, etc...). Apprenti chez un forgeron (il brise une enclume d'un seul coup), il dépasse vite son maître et se fabrique une canne de fer d'un poids considérable, de cinq cents livres à plusieurs quintaux ! Le personnage s'appelle parfois Jean Bâton de Fer. Parfois la canne n'est pas de fer, mais d'un tronc de chêne tout aussi imposant.
- Jean de l'Ours part pour courir le monde. Chemin faisant, il rencontre deux ou trois compagnons d'une force phénoménale qui vont l'accompagner.
- Parvenus dans un château mystérieux, ils s'y installent et y font la rencontre d'un personnage d'aspect variable, toujours maléfique, souvent identifiable au diable, qui les défie et les bat l'un après l'autre, mais il ne peut vaincre Jean de l'Ours et lui révèle le secret : une (ou plusieurs) princesses sont prisonnières dans un palais souterrain.
- Jean de l'Ours descend au fond d'un puits vertigineux, doit surmonter de nouvelles épreuves, affronter des monstres, pour enfin délivrer la princesse. Ses compagnons l'ayant abandonné, Jean de l'Ours et sa princesse ne peuvent regagner la surface qu'en montant sur le dos d'un oiseau gigantesque (généralement, une aigle, parfois un Oiseau Roc). Il doit nourrir l'oiseau de viande pendant la longue remontée. À la fin, Jean de l'Ours se taille lui-même un morceau de sa cuisse pour arriver au terme de l'ascension. Il épousera bien sûr la princesse, tandis que les compagnons ingrats ont disparu, sont punis, ou pardonnés selon les versions.
Légendes et réalitésJean de l'Ours est reconnu par la plupart des narrateurs comme un conte, c'est-à-dire mettant en scène des personnages et des événements acceptés comme totalement fictifs. Mais compte tenu de sa proximité avec des êtres à caractère plus ambigu, comme le Basajaun, dont l'existence réelle pouvait être une croyance populaire (à défaut d'une certitude), on l'a parfois classé parmi les « hommes sauvages » typiquement montagnards, comme le Yéti de l'Himalaya, l Almasty du Caucase, le Bigfoot ou le Sasquatch américains, et bien d'autres. Des exégètes modernes ont cherché et proposé des théories tentant de justifier l'existence de telles créatures, notamment par la survivance de Néandertaliens, ou bien des maladies ou malformations pathologiques.Jean-Jacques Rousseau a écrit à propos de ces hommes sauvages en 1754 dans son « Discours sur l’origine de l’inégalité entre les hommes. » Comme Carl von Linné, il classait ces êtres sauvages dans l'espèce Homo ferus. Il décrit des humains marchant à quatre pattes, ne sachant pas parler et velus comme des ours. En 1776 c'est l’ingénieur Leroy, chargé de la Marine royale et de l’exploitation des forêts d’Aspe, qui fait part dans ses mémoires d'êtres humains sauvages dans les forêts d’Iraty et d’Issaux. Il décrit même un homme velu d'environ trente ans. Il est possible qu'il fut atteint d’Hypertrichose (syndrome d’Ambras). La version basque du conte de Jean de l'Ours parle justement d'une jeune fille qui fut enlevée dans la Forêt d'Iraty par un ours à qui elle donna un garçon velu et fort comme son père. La probable réalité des faits évoqués par l'ingénieur Paul-Marie Leroy rejoignait donc en partie la légende. D'après certains, les légendes de Basajaunak tireraient leur origine de la rencontre des proto-Basques arrivés il y a environ 40 000 ans, avec les derniers Néandertaliens. Ceci est toutefois en contradiction avec la tradition basque qui voit dans les Basajaunak les inventeurs de l'agriculture. Voir aussiNotes et référencesLiens internesBibliographie - Paul Delarue, Le Conte populaire français, Paris, G. P. Maisonneuve et Larose, édition 1976
- Michel Praneuf, L'Ours et les Hommes dans les traditions européennes, Paris, Imago, 1988
- José Miguel Barandiarán, Dictionnaire Illustré de la Mythologie Basque, traduit et annoté par Michel Duvert, Éditions Elkar
- Julien Vinson, Le Folk-lore du Pays Basque, Paris, Maisonneuve, 1883 (le conte Malbrouc reprend des éléments, mais le héros n'est pas le fils d'un ours).
- Jean Barbier, Légendes basques, Paris, Delagrave, 1931 : Hachko et ses deux compagnons (Hachko, le héros, est le fils d'un Basajaun).
- Edouard Brasey, L'encyclopédie du merveilleux, T3 : Des peuples de l'ombre, Le Pré aux Clercs, 2006, p.11-13
- Bruno de La Salle, Jean de l'Ours, illustrations de Dominique Maes, Casterman, coll. Contes de toujours, 1985
- Jean-Claude Pertuzé, Le conte de Jean de l'Ours, album illustré, Loubatières, Toulouse, 1988
- Marc Large, Xan de l'Ours, la légende de l'homme sauvage, préface de Renaud, Éditions Cairn, 2008
- Alina Reyes, Lucie au long cours, Paris, Seuil, 1990. Le deuxième roman d'Alina Reyes évoque le mythe de Jean de l'Ours.
- Olivier de Marliave et Jean-Claude Pertuzé, Panthéon Pyrénéen, Toulouse, éditions Loubatières, 1990
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