| Octave_Mirbeau |
|---|
| |
|
| Naissance | 1848, Trévières |
|---|
| Décès | 1917, Paris |
|---|
| Activité | Écrivain, Journaliste |
|---|
| Nationalité | France |
|---|
| Langue | Français |
|---|
| Genre | roman, Théâtre, Critique d'art |
|---|
| Mouvement | Impressionnisme, Expressionnisme |
|---|
| Influences | Léon Werth, Franz Kafka, Jean-Paul Sartre, Eugène Ionesco, Louis-Ferdinand Céline |
|---|
| Site officiel | Société Octave Mirbeau |
|---|
| OEuvres principales | Le Jardin des supplices, Le Journal d'une femme de chambre, Les affaires sont les affaires |
|---|
| Éditeurs | Ollendorff, Charpentier-Fasquelle |
|---|
Octave Mirbeau, né le 16 février 1848 à Trévières (Calvados) et mort le 16 février 1917 à Paris, est un écrivain et Journaliste français
Octave Mirbeau a connu une célébrité européenne et de grands succès populaires, tout en étant également apprécié et reconnu par les avant-gardes littéraires et artistiques. Journaliste influent et fort bien payé, critique d’art défenseur des avant-gardes, pamphlétaire redouté, il a été aussi un romancier novateur et un dramaturge, à la fois classique et moderne, qui a triomphé sur toutes les grandes scènes du monde.
Biographie
Les débuts
Jeunesse
Petit-fils de notaires normands, fils d’un médecin de
Rémalard, dans le
Perche, le jeune Octave Mirbeau fait des études médiocres au collège des jésuites de
Vannes, d’où il est chassé dans des conditions plus que suspectes, qu’il évoquera dans son roman Sébastien Roch. Après son baccalauréat, il entame sans la moindre conviction des études de droit, qu’il n’achève pas, et rentre à Rémalard, où il travaille chez le notaire du village. Mobilisé, il subit la guerre de 1870 dans l’armée de la Loire, et cette expérience traumatisante lui inspirera plusieurs contes et des chapitres démystificateurs du
Calvaire et de
Sébastien Roch. En 1872, il « monte » à Paris et fait ses débuts journalistiques au service des bonapartistes, dans le quotidien de l’Appel au Peuple,
L’Ordre de Paris, dirigé par un client et voisin de son père, l'ancien député Henri Dugué de la Fauconnerie, qui lui a offert l'occasion inespérée de fuir le cercueil notarial où il se sentait enfermé. Il devient le secrétaire particulier de Dugué et se trouve donc, à ce titre, chargé d'écrire tout ce qui s'écrit chez lui : épisode dont il se souviendra amèrement dans son roman inachevé, publié après sa mort,
Un gentilhomme.
Entrée en journalisme
Pendant une douzaine d’années, Octave Mirbeau va donc faire « le domestique », en tant que secrétaire particulier, et « le trottoir », comme il l'écrit des journalistes en général, en tant que collaborateur à gages de divers organes de presse. Ses chroniques ont paru successivement dans
L’Ordre de Paris, organe officiel de l’Appel au Peuple, bonapartiste, jusqu’en 1877 ; puis à
L’Ariégeois, au service du baron de Saint-Paul, député de l’Ariège, en 1877-1878 ; puis dans
Le Gaulois, devenu monarchiste sous la direction d’
Arthur Meyer (1880-1882) ; et enfin, en 1883, pendant six mois, dans
Les Grimaces, hebdomadaire attrape-tout, anti-opportunistes et antisémites (il a fait son auto-critique dès le 14 janvier 1885 dans
La France) : il en est le rédacteur en chef pour le compte du banquier Edmond Joubert, vice-président de
la Banque de Paris et des Pays-Bas (1883), et il entend y faire grimacer les puissants, démasquer leurs turpitudes et dévoiler les scandales de la pseudo-République, où, selon lui, une bande de « joyeux escarpes » crochètent impunément les caisses de l’État.
Paul Hervieu, qui collabore aux
Grimaces sous le pseudonyme de Liris, devient son ami et son confident.
Au début des années 1880, Octave Mirbeau fait aussi « le nègre » produit une dizaine de volumes, publiés sous au moins deux pseudonymes (Alain Bauquenne et Forsan). Cela lui permet, non seulement de gagner convenablement sa vie à une époque où il entretient une maîtresse dispendieuse, mais aussi et surtout de faire ses gammes et ses preuves, en attendant de pouvoir signer sa copie et la vendre avantageusement.
Le grand tournant
En 1884, pour se remettre et se purger d’une passion dévastatrice pour une dame de petite vertu, Judith Vimmer – expérience qui lui inspirera son premier roman officiel,
Le Calvaire –, Mirbeau fait retraite pendant sept mois à
Audierne, dans le
Finistère, et se purge au contact des marins et paysans bretons. C’est le grand tournant de 1884-1885 : de retour dans la presse parisienne, il commence, tardivement et difficilement, à voler de ses propres ailes et entame sa rédemption par le verbe : ce n’est évidemment pas un hasard si la suite projetée du
Calvaire, jamais écrite, devait précisément s’intituler
La Rédemption.
Dès lors il met sa plume au service de ses valeurs éthiques et esthétiques et engage ses grands combats politiques, artistiques et littéraires, qui donneront de lui l'image durable d'un justicier et d'un imprécateur. C’est à la fin de 1884 que commence sa longue amitié pour les deux « grands dieux de coeur », Claude Monet et Auguste Rodin.
La consécration
Entrée en littérature
Mirbeau poursuit désormais une double carrière de journaliste et d’écrivain. Chroniqueur, conteur et critique d’art influent, redouté et de mieux en mieux rémunéré, il collabore, successivement ou parallèlement, à
La France, au
Gaulois, au
Matin, au
Gil Blas, au
Figaro, à
L'Écho de Paris, puis, pendant dix ans, au
Journal, où il touche 350 francs par article (environ 1 100 euros), ce qui est tout à fait considérable pour l'époque. Outre ses chroniques, il y fait paraître force contes, dont il ne publie en volume qu'une petite partie :
Lettres de ma chaumière (1885) et
Contes de la chaumière (1894) ; la plupart ne seront publiés qu'après sa mort, et seront recueillis en 1990 dans ses
Contes cruels (réédition en 2000).
Parallèlement il entame une carrière de romancier : Le Calvaire (1886), qui lui vaut un succès de scandale, notamment à cause du démystificateur chapitre II sur la débâcle de l’armée de la Loire pendant la guerre de 1870, qui fait hurler les nationalistes et que Juliette Adam a refusé de publier dans la Nouvelle revue ; puis L'Abbé Jules (1888), dont le héros est un prêtre révolté et fauteur de scandales ; et Sébastien Roch (1890), sur un sujet tabou, ce qui lui vaut une véritable conspiration du silence. Ces oeuvres novatrices sont vivement appréciées des connaisseurs et de l’avant-garde littéraire, mais sont négligées par une critique tardigrade et conformiste, effrayée par leurs audaces..
C’est au cours de cette période qu’il entame sa vie de couple avec Alice Regnault, une ancienne théâtreuse, qu’il épouse, honteusement et en catimini, à Londres, le 25 mai 1887, après deux ans et demi de « collage ». Mais Mirbeau ne se fait aucune illusion sur ses chances de jouir du bonheur conjugal, comme en témoigne une nouvelle au titre amèrement ironique, publiée au lendemain de son mariage : « Vers le bonheur ». « L'abîme » qui, selon lui, sépare à tout jamais les deux sexes, les condamne irrémédiablement à de douloureux malentendus, à l’incompréhension et à la solitude. Cette expérience le poussera, vingt ans plus tard, à interpréter à sa façon les relations entre Balzac et Évelyne Hanska dans La Mort de Balzac (1907), sous-chapitres de La 628-E8, où il ne cherchera pas à établir une impossible « vérité » historique et qui lui servira avant tout d’exutoire pour exhaler son amertume et ses frustrations.
Crise
Pendant les sept années qui suivent, Mirbeau traverse une interminable crise morale, où le sentiment de son impuissance, sa remise en cause des formes littéraires, notamment du genre romanesque, et son pessimisme existentiel sont aggravés par une douloureuse crise conjugale qui perdure – et dont témoigne une longue nouvelle,
Mémoire pour un avocat (1894). C’est au cours de cette période difficile qu’il s’engage dans le combat anarchiste , qu’il découvre
Vincent van Gogh et
Paul Gauguin, qu’il publie son roman
Dans le ciel en feuilleton (mais non en volume), et qu’il rédige sa première grande pièce,
Les Mauvais Bergers, tragédie prolétarienne profondément pessimiste, qui sera créée en décembre 1897 par les deux plus grandes stars médiatiques de l’époque,
Sarah Bernhardt et
Lucien Guitry.
Triomphe
Au tournant du siècle, Mirbeau remporte de grands succès de ventes et de scandale avec
Le Jardin des supplices (juin 1899) et
Le Journal d'une femme de chambre (juillet 1900), et il connaît un triomphe mondial au théâtre avec
Les affaires sont les affaires (1903), puis avec
Le Foyer (1908), deux comédies de moeurs au vitriol qu’il parvient, non sans mal, à faire représenter à la
Comédie-Française, au terme de deux longues batailles.
La 628-E8 connaît également un succès de scandale en novembre 1907, à cause des sous-chapitres sur
La Mort de Balzac. Ses oeuvres sont traduites en de nombreuses langues, et sa réputation et son audience ne font que croître dans toute l’Europe, tout particulièrement en Russie, où paraissent deux éditions de ses oeuvres complètes entre 1908 et 1912.
Personnalité de premier plan, craint autant qu’admiré, à la fois marginal - par ses orientations esthétiques et par ses proses de position politiques radicales -, et au coeur du système culturel dominant qu’il contribue à dynamiter de l’intérieur, il est reconnu par ses pairs comme un maître : ainsi Léon Tolstoï voit-il en lui « le plus grand écrivain français contemporain, et celui qui représente le mieux le génie séculaire de la France » ; Stéphane Mallarmé écrit-il qu’il « sauvegarde certainement l’honneur de la presse en faisant que toujours y ait été parlé, ne fût-ce qu’une fois, par lui, avec quel feu, de chaque oeuvre d’exception » ; Georges Rodenbach voit-il en lui « Le Don Juan de l’Idéal » et Remy de Gourmont « le chef des Justes par qui sera sauvée la presse maudite », cependant qu’Émile Zola salue, chez l’auteur du Journal d’une femme de chambre, « Le justicier qui a donné son coeur aux misérables et aux souffrants de ce monde ».
Demeures
. De 1889 à 1892, Mirbeau a habité
Les Damps, dans l’Eure, où
Camille Pissarro a laissé quatre toiles de son jardin. Puis, se sentant trop éloigné de Paris, il a déménagé à Carrières-sous-Poissy (Seine-et-Oise), où il a fait de son jardin une source d'émerveillement pour ses visiteurs. Devenu riche, il s’est installé à Paris, boulevard Delessert, près du Trocadéro, puis s’est partagé un temps entre son luxueux appartement de l’avenue du Bois (actuelle
Avenue Foch), où il a emménagé en novembre 1901, et le « château » de
Cormeilles-en-Vexin, acheté en 1904 par sa femme
Alice. En 1909, il s’est fait construire une maison à
Triel-sur-Seine, où il passe ses dernières années, avant de revenir à Paris pour se rapprocher de son médecin, le professeur Albert Robin.
Dans toutes ses demeures, il a cultivé passionnément son jardin, rivalisant avec Claude Monet, a reçu abondamment ses nombreux amis, notamment Paul Hervieu, son ancien complice des Grimaces, les peintres Claude Monet et Camille Pissarro, et le sculpteur Auguste Rodin, et il a collectionné amoureusement les oeuvres d’art des artistes novateurs qu’il a contribué à promouvoir.
Crépuscule
Les dernières années de la vie d’Octave Mirbeau sont désolantes : presque constamment malade, à partir de 1908, il est désormais incapable d’écrire : c’est son jeune ami et successeur
Léon Werth qui doit achever
Dingo, qui paraît en 1913. La terrifiante boucherie de la Première Guerre mondiale achève de désespérer un homme qui, malgré un pessimisme confinant souvent au nihilisme, n’a pourtant jamais cessé de parier sur la raison de l’homme et de miser sur l’amitié franco-allemande pour garantir la paix en Europe (voir notamment
La 628-E8, 1907). Il meurt le jour de son 69e anniversaire.
OEuvre
Ses engagements
Combats politiques
Sur le plan politique, Mirbeau s’est rallié officiellement à l’
Anarchisme en 1890. Mais, bien avant cette date, il était déjà révolté et réfractaire à toutes les idéologies aliénantes, radicalement libertaire, farouchement individualiste, irréductiblement pacifiste, résolument anticlérical et antimilitariste. Il s’est battu avec constance contre toutes les forces d’oppression, d’exploitation et d’aliénation : la famille et l’école « éducastratrices » ; l’Église catholique et les croyances religieuses (tout juste bonnes, selon lui, pour les pensionnaires de l'asile de Charenton) ; l’armée, les « âmes de guerre » et le bellicisme ; la presse vénale et anesthésiante ; le capitalisme industriel et financier, qui permet aux gangsters et prédateurs des affaires de se partager le monde ; les conquêtes coloniales, qui transforment des continents entiers en jardins des supplices ; et le système politique bourgeois, qui se prétend abusivement républicain, alors qu’il ne fait qu’assurer la main-mise d’une minorité sur tout le pays, avec la bénédiction des électeurs moutonniers, « plus bêtes que les bêtes » : aussi appelle-t-il ses lecteurs à faire La Grève des électeurs (son article, ainsi intitulé, a paru dans
Le Figaro le 28 novembre
1888) et a été diffusé par les groupes anarchistes à des centaines de milliers d’exemplaires à travers l’Europe (souvent avec Prélude paru le 14 juillet 1889) ; il est accessible en plusieurs langues sur Internet et bien sûr sur WikiSource).
Pamphlétaire efficace et d’autant plus redouté, Mirbeau met en oeuvre une ironie démystificatrice, un humour noir dérangeant et une rhétorique de l’absurde, afin d'obliger le lecteur à réagir et à se poser des questions. Il recourt volontiers à l’interview imaginaire des puissants de ce monde, afin de mieux dévoiler leur médiocrité et leurs turpitudes. Une anthologie de ses articles a paru sous le titre de Combats politiques
Combats éthiques
Ardent
dreyfusard, il s’engage avec passion dans le grand combat pour les valeurs cardinales du dreyfusisme, la Vérité et la Justice (1898-1899). Il rédige le texte de la pétition des
intellectuels, qui paraît le 16 janvier 1898 ; il collabore à
L’Aurore d’août 1898 à juin 1899 ; il participe à de multiples réunions publiques à Paris et en province, au risque, parfois, de se faire tabasser par les nationalistes et antisémites, comme à
Toulouse, en décembre 1898, et à
Rouen, en février 1899 ; et, le 8 août 1898, il paye de sa poche la grosse amende d’un montant de 7 525 francs (avec les frais du procès), à laquelle a été condamné
Émile Zola pour son
J'accuse, paru le 13 janvier dans
L’Aurore.
Octave Mirbeau incarne l’intellectuel à qui rien de ce qui est humain n’est étranger. Conscient de sa responsabilité de journaliste écouté et d’écrivain prestigieux, il mène avant tout un combat éthique et, s’il s’engage dans les affaires de la cité, c’est en toute indépendance à l’égard des partis, et tout simplement parce qu’il ne peut supporter l’idée d’être complice, par son silence, comme tant d’autres par leur passivité, de tous les crimes qui se perpètrent à travers le monde. Son devoir est avant tout d’être lucide et de nous forcer à voir, en nous inquiétant, ce que, aveugles volontaires, nous préférons généralement éviter de regarder en face, histoire de préserver notre confort moral.
Combats esthétiques
Parallèlement, en tant que critique d’art influent et doté d’une espèce de prescience, il pourfend l’art académique et pompier des
Édouard Detaille, Jean-Louis-Ernest Meissonier,
Alexandre Cabanel et
William Bouguereau, tourne en ridicule le système des Salons, « bazars à treize sous », et bataille pour les grands artistes novateurs, longtemps moqués et méconnus : il est le chantre attitré d’
Auguste Rodin, de
Claude Monet et de
Camille Pissarro, l’admirateur de
Paul Cézanne, d'
Edgar Degas et d’
Auguste Renoir, le défenseur d’
Eugène Carrière, de
Paul Gauguin — qui, grâce à ses articles élogieux, peut payer son voyage à
Tahiti —, de
Félix Vallotton, d’
Édouard Vuillard et de
Pierre Bonnard, le découvreur de
Maxime Maufra, de
Constantin Meunier, de
Vincent van Gogh, de
Camille Claudel, d’
Aristide Maillol et de
Maurice Utrillo.
Ses articles sur l’art ont été recueillis dans les deux gros volumes de ses Combats esthétiques, parus chez Séguier en 1993.
Combats littéraires
Il mène aussi le bon combat pour des écrivains également novateurs : il lance notamment
Maurice Maeterlinck en août 1890 par un article retentissant du
Figaro et
Marguerite Audoux en 1910 ; il défend et promeut
Remy de Gourmont,
Marcel Schwob,
Léon Bloy et
Jules Renard, qu'il fait élire à l'
Académie Goncourt en 1907, en menaçant de démissionner ; il vient en aide à
Alfred Jarry et à
Paul Léautaud ; il admire inconditionnellement
Léon Tolstoï et
Dostoïevski, qui lui ont révélé les limites de l’art latin, fait de clarté et de mesure ; il prend à deux reprises la défense d’
Oscar Wilde condamné aux travaux forcés ; et il contribue à la réception en France de
Knut Hamsun et d’
Ibsen.
Nommé membre de l’Académie Goncourt par la volonté testamentaire d’Edmond de Goncourt, qu’il a plusieurs fois défendu dans la presse, Mirbeau fait entendre sa voix et se bat avec ferveur, à partir de 1903, pour de jeunes écrivains originaux qu’il contribue à promouvoir, même s’ils n’obtiennent pas le prix Goncourt : Paul Léautaud, Charles-Louis Philippe, Émile Guillaumin, Valery Larbaud, Marguerite Audoux, Neel Doff, Charles Vildrac et Léon Werth. Ses chroniques sur la littérature et le journalisme ont été recueillies en 2006 dans ses Combats littéraires, L’Âge d’Homme, Lausanne.
Mirbeau romancier
De la négritude au roman autobiographique
Mirbeau s’est d’abord avancé masqué et a publié sous pseudonyme, pour plusieurs commanditaires, une dizaine de romans écrits comme nègre (cinq d’entre eux sont accessibles sur Internet, sur le site des éditions du Boucher, notamment
L’Écuyère, 1882,
La Maréchale et
La Belle Madame Le Vassart, 1884). Il y fait brillamment ses gammes, varie les modèles dont il s’inspire et inscrit ses récits dans le cadre de romans-tragédies, où le
fatum prend la forme du déterminisme psychologique et socioculturel. Et, déjà, il trace un tableau au vitriol de ce « loup dévorant » qu’est « le monde », et de la « bonne société » qu’il abomine et dont il connaît les dessous peu ragoûtants pour l’avoir fréquentée pendant une douzaine d’années.
Il fait, dans le genre romanesque, des débuts officiels fracassants, sous son propre nom, avec un roman qui obtient un succès de scandale, Le Calvaire (1886), où il se libère par l’écriture des traumatismes de sa destructrice passion pour Judith Vimmer, rebaptisée Juliette, en même temps que, dans le chapitre II, il dresse un tableau impitoyable de l’armée française pendant la guerre de 1870, qu’il a vécue, comme « moblot » (mobile), dans l’Armée de la Loire.
En 1888, il publie L'Abbé Jules, premier roman dostoïevskien et pré-freudien de notre littérature, vivement admiré par Léon Tolstoï, Georges Rodenbach, Guy de Maupassant et Théodore de Banville, où, dans le cadre percheron de son enfance, apparaissent deux personnages fascinants : l’abbé Jules et le père Pamphile. Dans un troisième roman autobiographique, Sébastien Roch (1890), il évacue un autre traumatisme : celui de son séjour chez les jésuites de Vannes – « un enfer », écrivait-il en 1862 à son confident Alfred Bansard – et des violences sexuelles qu’il pourrait bien y avoir subies, à l’instar du personnage éponyme. Il transgresse ainsi un tabou qui a duré encore plus d'un siècle : le viol d’adolescents par des prêtres.
La crise du roman
Il traverse alors une grave crise existentielle et littéraire, au cours de laquelle il remet radicalement en cause le genre romanesque. Il publie néanmoins en feuilleton un extraordinaire roman, très noir,
expressionniste et pré-
existentialiste avant la lettre, sur la souffrance de l’humaine condition et la tragédie de l’artiste,
Dans le ciel. Il y met en scène un peintre directement inspiré de
Van Gogh, dont, à l'insu de sa femme, il vient d’acheter au père Tanguy, pour 600 francs (1 800 euros !), deux toiles qui, revendues en 1987, seront alors les plus chères au monde :
Les Iris (Van Gogh) et
Les Tournesols...
Au lendemain de l’Affaire Dreyfus, son pessimisme est encore renforcé, et il publie deux romans fin-de-siècle qui en témoignent. Jugés « scandaleux » par les Tartuffes et les « bien-pensants » de tout poil, ils n’en connaissent pas moins un énorme succès à travers le monde (ils sont traduits dans une trentaine de langues et sont constamment réédités dans tous les pays) : Le Jardin des supplices (1899) et Le Journal d'une femme de chambre (1900). Il y met déjà à mal le genre romanesque, en pratiquant la technique du collage, et en transgressant les codes de la vraisemblance, de la crédibilité romanesque et des hypocrites bienséances. Les 21 jours d'un neurasthénique (1901) systématise le collage et nous donne une vision grinçante des hommes et de la société, à travers le regard d’un neurasthénique qui projette son mal-être sur un univers où rien ne rime à rien et où tout marche à rebours de la justice et du bon sens.
La mise à mort du roman
Octave Mirbeau achève de mettre à mort le vieux roman prétendument
réaliste dans ses deux dernières oeuvres narratives :
La 628-E8 (1907), amputée
in extremis de
La Mort de Balzac, qui se présente comme un récit de voyage en automobile à travers la
Belgique, la
Hollande et l’
Allemagne ; et
Dingo (1913), achevé par
Léon Werth, Mirbeau n'étant plus capable d'écrire. Les héros de ces deux récits ne sont autres que sa propre automobile (la fameuse Charron immatriculée
628-E8) et son propre chien tendrement aimé, Dingo, mort à Veneux-Nadon en novembre 1901. Mirbeau renonce aux subterfuges des personnages romanesques et se met lui-même en scène en tant qu’écrivain, inaugurant ainsi une forme d’
Autofiction avant la lettre. Il renonce à toute trame romanesque et à toute composition, et obéit seulement à sa fantaisie.
Enfin, sans le moindre souci de Réalisme, il multiplie les caricatures, les effets de grossissement et les « hénaurmités » pour mieux nous ouvrir les yeux. C’est ainsi qu’on peut comprendre le scandaleux chapitre de La 628-E8 sur La Mort de Honoré de Balzac, où certains critiques ont voulu voir une vulgaire calomnie à l’encontre de Mme Hanska, alors qu’il ne s’agit, pour le romancier, que d’exprimer sa propre gynécophobie et d’exorciser ses propres frustrations.
Par-dessus le roman codifié du XIXe siècle à prétentions réalistes, Mirbeau renoue avec la totale liberté des romanciers du passé, de Rabelais à Sterne, de Cervantès à Diderot, et il annonce ceux du vingtième siècle.
Mirbeau dramaturge
Une tragédie prolétarienne
Au théâtre, Mirbeau a fait ses débuts avec une tragédie prolétarienne sur un sujet proche de celui du
Germinal d’
Émile Zola,
Les Mauvais Bergers, qui a été créé au théâtre de la Renaissance, le 15 décembre 1897, par deux monstres sacrés de la scène,
Sarah Bernhardt et
Lucien Guitry. Le pessimisme y confine au nihilisme : au dénouement, ne subsiste aucun espoir de germinations futures. Mirbeau jugera sa pièce beaucoup trop déclamatoire et songera même à l’effacer de la liste de ses oeuvres. Mais des groupes anarchistes la traduiront et la représenteront à travers l'Europe.
Deux grandes comédies
En 1903, il connaît un triomphe mondial, notamment en Allemagne et en Russie, avec une grande comédie classique de moeurs et de caractères dans la tradition de
Molière, qu’il a fait représenter à la
Comédie-Française au terme d’une longue bataille marquée par la suppression du comité de lecture, en octobre 1901 :
Les affaires sont les affaires. C’est là qu’apparaît le personnage emblématique d’Isidore Lechat : type du brasseur d’affaires moderne, produit d’un monde nouveau, ancêtre des
Bernard Tapie et des
Berlusconi, il fait argent de tout et étend ses tentacules sur le monde.
En 1908, après une nouvelle bataille, judiciaire et médiatique, qu’il remporte de haute lutte, il fait de nouveau représenter à la Comédie-Française une pièce à scandale co-signée par son ami Thadée Natanson,, Le Foyer, où il pourfend une nouvelle fois la prétendue charité, qui n'est qu'un juteux business, et transgresse un nouveau tabou : l’exploitation économique et sexuelle d’adolescentes dans un foyer prétendument « charitable »
Farces et moralités
Mirbeau a aussi fait jouer six petites pièces en un acte, extrêmement novatrices, recueillies sous le titre de
Farces et moralités (1904) : tout en se situant dans la continuité des moralités médiévales à intentions pédagogiques et moralisatrices, il anticipe le théâtre de
Bertolt Brecht, de
Marcel Aymé, d’
Harold Pinter et d’
Eugène Ionesco Il y subvertit les normes sociales, il démystifie la loi et il porte la contestation au niveau du langage, qui contribue à assurer la domination de la bourgeoisie (il tourne notamment en dérision le discours des politiciens et le langage de l’amour)
Postérité
Mirbeau n’a jamais été oublié et n’a jamais cessé d’être publié, mais on l’a souvent mal lu, à travers de trompeuses grilles de lecture (par exemple, nombre de critiques et d’historiens de la littérature l’ont embrigadé bien malgré lui parmi les naturalistes, ou bien on a voulu voir dans plusieurs de ses romans des oeuvres érotiques, comme en témoignent nombre de couvertures de ses innombrables traductions. On a aussi eu fâcheusement tendance à réduire son immense production aux trois titres les plus emblématiques de son oeuvre littéraire. Politiquement incorrect, socialement irrécupérable et littérairement inclassable, il a traversé, après sa mort, une longue période d’incompréhension de la part des auteurs de manuels et d’histoires littéraires ; et le faux « Testament politique » rédigé par
Gustave Hervé et publié cinq jours après sa mort par sa veuve abusive,
Alice Regnault, a contribué à brouiller durablement son image.
Heureusement, depuis une quinzaine d’années, grâce au développement des études mirbelliennes (parution de sa biographie, publication de très nombreux inédits, fondation de la Société Octave Mirbeau, création des Cahiers Octave Mirbeau, organisation de nombreux colloques internationaux et interdisciplinaires (sept entre 1991 et 2007), constitution d'un Fonds Octave Mirbeau à la Bibliothèque Universitaire d'Angers, ouverture de deux sites Internet consacrés à Mirbeau), on le découvre sous un jour nouveau, on le lit sans idées préconçues ni étiquettes réductrices, on publie la totalité de son oeuvre, dont des pans entiers étaient méconnus ou ignorés, voire totalement insoupçonnés (ses romans écrits comme nègre, par exemple), et on commence tardivement à prendre la mesure de son tempérament d’exception, de son originalité d’écrivain et du rôle éminent qu’il a joué sur la scène politique, littéraire et artistique de la Belle Époque, ainsi que dans l’évolution des genres littéraires.
Notes
Bibliographie
Romans
- OEuvre romanesque, Buchet/Chastel - Société Mirbeau, 3 volumes, 4000 pages, dont 800 pages d’appareil critique (2000-2001). Pierre Michel y a réalisé l’édition critique de l’ensemble des romans d’Octave Mirbeau. Cinq romans écrits comme nègre y sont reproduits en annexe : L’Écuyère, La Maréchale, La Belle Madame Le Vassart, Dans la vieille rue et La Duchesse Ghislaine. Ces quinze romans sont également accessibles en ligne sur le site Internet des éditions du Boucher, avec de nouvelles préfaces de Pierre Michel (2003-2004).
Théâtre
Contes et nouvelles
- Lettres de ma chaumière (1885).
- Contes de la chaumière (1894).
- Mémoire pour un avocat (1894 ; mise en ligne en 2007).
- Dans l’antichambre (Histoire d’une Minute) (1905). Illustré par Edgar Chahine. Librairie de la Collection des Dix. A. Romagnol, Editeur. Collection de l’Académie des Goncourt.
- La Vache tachetée (1918).
- Un homme sensible (1919).
- La Pipe de cidre (1919).
- Les Mémoires de mon ami (1920 ; nouvelle édition en octobre 2007).
- Les Souvenirs d’un pauvre diable (1921).
- Le Petit gardeur de vaches (1922).
- La Mort de Balzac (1989 ; réédition en 1999).
- Contes cruels, 2 volumes (1990 ; réédition à l’identique en 2000). Recueil de 150 contes.
- Contes drôles (1995). Recueil de 21 contes.
Textes de critique
- Chez l’Illustre écrivain (1919).
- Des artistes, 2 volumes (1922-1924).
- Gens de théâtre (1924).
- Les Écrivains, 2 volumes (1925-1926).
- Notes sur l’art (1989).
- Combats esthétiques, Séguier, 2 volumes (1993).
- Premières chroniques esthétiques (1996).
- Chroniques musicales (2001).
- Combats littéraires, L’Âge d’Homme (2006).
Textes politiques et sociaux
- La Grève des électeurs (1902, rééd. 1995, 2002 et 2007).
- Les Grimaces et quelques autres chroniques (1928).
- Combats politiques (1990).
- Combats pour l’enfant (1990).
- L’Affaire Dreyfus (1991).
- Lettres de l’Inde (1991).
- Paris déshabillé (1991).
- Petits poèmes parisiens (1994).
- L’Amour de la femme vénale (1994).
- Chroniques du Diable (1995).
- Chroniques ariégeoises (1998).
Correspondance
- Lettres à Alfred Bansard des Bois, 1862-1874 (1989).
- Correspondance avec Auguste Rodin (1988), avec Claude Monet (1990), avec Camille Pissarro (1990), avec Jean-François Raffaëlli (1993), avec Jean Grave (1994).
- Correspondance générale, 2 volumes parus, L’Âge d’Homme, (2003-2005), deux volumes à paraître.
Études
Livres
- Reginald Carr, Anarchism in France - The Case Octave Mirbeau, Manchester, 1977, 190 pages.
- Pierre Michel et Jean-François Nivet, Octave Mirbeau, l’imprécateur au coeur fidèle, biographie, Librairie Séguier, Paris, 1990, 1020 pages.
- Claude Herzfeld, La Figure de Méduse dans l’oeuvre d’Octave Mirbeau, Librairie Nizet, Paris, 1992, 107 pages.
- Pierre Michel (sous la direction de), Octave Mirbeau, Actes du colloque d’Angers, Presses Universitaires d’Angers, 1992, 500 pages.
- Pierre Michel (sous la direction de) : Colloque Octave Mirbeau, Editions du Demi-Cercle, Paris, 1994, 132 pages grand format.
- Pierre Michel, Les Combats d’Octave Mirbeau, Annales littéraires de l’Universté de Besançon, 1995, 387 pages.
- Christopher Lloyd, Mirbeau’s fictions, Durham University Press, 1996, 114 pages.
- Laurence Tartreau-Zeller, Octave Mirbeau, une critique du coeur, Presses du Septentrion, 1999, 759 pages.
- Pierre Michel, Lucidité, désespoir et écriture, Presses de l’université d’Angers – Société Octave Mirbeau, 2001, 87 pages.
- Claude Herzfeld, Le Monde imaginaire d’Octave Mirbeau, Société Octave Mirbeau, Angers, 2001, 90 pages.
- Samuel Lair, Mirbeau et le mythe de la nature, Presses Universitaires de Rennes, 2004, 361 pages.
- Pierre Michel (sous la direction de), Un moderne : Octave Mirbeau, Eurédit, Cazaubon, 2004, 294 pages.
- Max Coiffait, Le Perche vu par Mirbeau et réciproquement, L’Étrave, 2006, 224 pages.
- Robert Ziegler, The Nothing Machine : The Fiction of Octave Mirbeau, Rodopi, Amsterdam – New York, septembre 2007, 250 pages.
- Kinda Mubaideen et Lolo, Un aller simple pour l’Octavie, Société Octave Mirbeau, Angers, septembre 2007, 62 pages.
- Pierre Michel, Octave Mirbeau, Les Acharnistes, 2007, 32 pages.
- Gérard Poulouin et Laure Himy (sous la direction de), Octave Mirbeau, passions et anathèmes, Actes du colloque de Cerisy, Presses universitaires de Caen, janvier 2008.
- Samuel Lair, Octave Mirbeau l'iconoclaste, L'Harmattan, 2008, 334 pages.
- Claude Herzfeld, Octave Mirbeau – Aspects de la vie et de l’oeuvre, L’Harmattan, 2008, 346 pages.
Revues
- Cahiers naturalistes, numéro spécial Octave Mirbeau, sous la direction de Pierre Michel et Jean-François Nivet, 1990, 100 pages.
- L’Orne littéraire, numéro spécial Octave Mirbeau, sous la direction de Pierre Michel, 1992, 105 pages.
- Europe, numéro Octave Mirbeau, sous la direction de Pierre Michel, mars 1999, 100 pages.
- Autour de Vallès, numéro spécial Vallès - Mirbeau, journalisme et littérature, sous la direction de Marie-Françoise Melmoux-Montaubin, 2001, 317 pages.
- Cahiers Octave Mirbeau, 1994-2008, 15 numéros parus, 5 400 pages (à commander à la Société Octave Mirbeau, 10 bis rue André Gautier, 49000 - Angers).
Liens externes
OEuvres d’Octave Mirbeau
Sur Octave Mirbeau
- Catégorie Octave_Mirbeau de l’annuaire dmoz.
- (fr) Société Octave Mirbeau. Le site présente des pages en vingt et une langues et donne accès à plus de 400 articles sur Mirbeau, en quinze langues, ainsi qu’aux préfaces des romans et des pièces de théâtre de Mirbeau par Pierre Michel.
- (fr) Groupe Mirbeau de Scribd. On y trouve plus de 600 oeuvres et articles de Mirbeau, notamment des quantités d'articles inédits en volume.
- (fr) Blog de Pierre Michel... et d’Octave Mirbeau. On y trouve notamment près de 300 couvertures d'oeuvres de Mirbeau en 22 langues.
- (fr) Site de Pierre Michel, biographe et éditeur d’Octave Mirbeau. Six livres électroniques sont accessibles, ainsi que plus de 130 articles et préfaces.
- (fr) Pierre Michel, Octave Mirbeau et le roman, 2005, 276 pages.
- (fr) Pierre Michel, Albert Camus et Octave Mirbeau, 2005, 68 pages.
- (fr) Pierre Michel, Jean-Paul Sartre et Octave Mirbeau, 2005, 67 pages.
- (fr) Pierre Michel, Octave Mirbeau, Henri Barbusse et l’enfer, 2006, 51 pages.
- (fr)Pierre Michel, Octave Mirbeau et la négritude, 2006, 40 pages.
- (fr) Pierre Michel, Bibliographie d’Octave Mirbeau, 2008, 529 pages.