Odon de Conteville dit
Odon de Bayeux, parfois prénommé
Eudes (v. 1030 ou ap. 1035 – janvier
1097,
Palerme), fut un noble
normand qui grâce à sa parenté avec Guillaume le Conquérant devint évêque de Bayeux, puis l'un des hommes les plus riches et puissants de l'
Angleterre nouvellement conquise. Agissant comme régent d'Angleterre à plusieurs reprises, durant les absences du roi, il fut aussi
Comte de Kent. Il est très probablement le commanditaire de la
Tapisserie de Bayeux.
Biographie
Avant la conquête
Il était le fils de Herluin, vicomte de Conteville, et d'
Arlette de Falaise. Il était donc le demi-frère utérin de Guillaume le Conquérant, et le frère de
Robert de Mortain.
Il reçoit l'évêché de Bayeux fin 1049 ou début 1050. Guillaume de Poitiers reconnaît qu'il est bien en dessous de l'âge canonique de trente ans à ce moment. Pour que cette nomination ne fasse pas scandale, Odon avait dû recevoir une éducation importante. À cause des troubles en Normandie durant toute la minorité du duc Guillaume le Bâtard (plus tard le Conquérant), il est très probable qu'il fut retiré à la garde de ses parents et envoyé étudier ailleurs.
Sa nomination, ainsi que celle de Robert de Mortain au Comté de Mortain quelques années plus tard, est due à la volonté du duc Guillaume de placer des hommes de confiance aux postes clés du duché. Après les troubles de sa minorité conclue par la victoire du Val-ès-Dunes (1047), il voulait consolider son autorité sur la Basse-Normandie, et notamment mettre la main sur le très important évêché bayeusien.
La réorganisation du diocèse avait été commencée sous son prédécesseur, le puissant Hugues II de Bayeux. Grâce à lui, le patrimoine épiscopal, usurpé lors de la colonisation scandinave, avait été récupérés, et la construction d'une nouvelle cathédrale avait débuté.
Il participe au concile de Lillebonne durant lequel les barons du duché sont consultés sur le projet d'invasion de l'Angleterre. Il y promet de contribuer pour 100 navires à la flotte qui débarquera outre-manche. Il accompagne son demi-frère Guillaume dans sa conquête de l'Angleterre (1066).
Conquête de l'Angleterre
La
Tapisserie de Bayeux le montre en
Haubert semblant combattre lors de la
bataille de Hastings. Ceci conduisit des historiens (dont Edward Augustus Freeman) à supposer qu'il ait pris part à la célèbre bataille, troquant une épée contre une masse pour ne pas faire couler le sang, et ainsi ne pas aller contre les lois canoniques.
Toutefois, le commentaire en latin de ce panneau de la Tapisserie, Hic Odo Eps. Baculum Tenens Confortat Pueros (Voici l'évêque Odon, tenant le baculus, encourageant les hommes) suggère plutôt qu'il commande et encourage les troupes depuis l'arrière. Le bâton (baculus) qu'il tient à la main est similaire à celui que le duc Guillaume tient dans trois autres panneaux en signe d'autorité et de commandement. Wace, écrivant à la fin du XIIe siècle, interprète aussi la scène de cette façon. Toutefois, Guillaume de Poitiers relate que Odon et Geoffroy de Montbray, l'évêque de Coutances, n'étaient là que pour aider par leurs prières, et qu'ils ne portèrent pas d'armes. Ce commentaire suggère que l'implication d'Odon dans la bataille fût peut-être exagérée par ces sources étroitement liées à Bayeux.
Récompense
Sa création rapide comme
Comte de Kent dès le début de l'année 1067, et ses responsabilités de co-régence avec Guillaume Fitz Osbern indiquent que le Conquérant entendait bien voir son demi-frère prendre une part importante dans le gouvernement du royaume.
Il obtient de vastes terres à travers toute l'Angleterre qui, à la rédaction du Domesday Book en 1086, rapportent plus de 3 000 £ par an. Il est donc le plus riche des tenants-en-chef du royaume, le seul approchant sa richesse étant son frère Robert. Il possède 439 manors dans 22 comtés. Il est aussi gardien du Château de Douvres.
Politique
Il ne joue pas de rôle discernable dans les quelques années qui suivent la conquête. En 1075, il mène une armée avec Geoffroy de Montbray pour affronter
Ralph de Gaël, le
comte de Norfolk et Suffolk, lors de la
Révolte des comtes.
Il est connu pour ses déplacements dans tout le royaume, dans lesquels, ostensiblement au nom du roi, il règle certains des très nombreux conflits de tenure de petites terres. La régence ou co-régence du Royaume d'Angleterre lui est régulièrement confiée lors de la présence en Normandie du Conquérant. Mais il n'a pas d'indépendance vis-à-vis de lui, et n'a aucun pouvoir particulier au contraire des comtes palatins de la frontière galloise. En 1072, il voit ses revendications sur des terres du Kent rejetées par un agent royal, au profit de son ennemi Lanfranc.
Disgrâce
En 1082, pour des raisons incertaines, le Conquérant décide de se débarrasser de lui. Il est arrêté et emprisonné sans explication à
Rouen, ses possessions anglaises sont confisquées. Le moine
Orderic Vital est le seul à donner quelques explications à propos de cette soudaine disgrâce. Mais sa version est floue. Sur l'île de Wight, Odon rassemblait une armée dans le but d'organiser une expédition militaire à Rome. Il comptait profiter des difficultés du pape du moment
Grégoire VII pour s'emparer du trône pontifical. Mais on ne voit pas en quoi ce projet pouvait irriter Guillaume. Orderic Vital met ensuite dans la bouche du roi de véritables reproches : Odon est accusé d'avoir opprimé l'Angleterre, en multipliant les exactions et en dépouillant les pauvres. Mais alors, s'étonne
François Neveux, pourquoi Guillaume décide d'arrêter son frère en 1082 alors que ces griefs étaient déjà anciens ?
L'arrestation d'Odon reste donc assez obscure.
Fin de vie
Article détaillé : .Il passe les 5 dernières années du règne de son demi-frère en prison Son frère Robert obtient difficilement sa libération sur le lit de mort du Conquérant, en 1087. Bien que restauré par son neveu Guillaume le Roux dans ses possessions antérieures, il est le leader clérical de la Rébellion de 1088, qui cherche à réunifier le Duché de Normandie et le Royaume d'Angleterre sous un gouvernement unique, celui de Robert Courteheuse.
Odon s'installe dans la ville fortifiée de Rochester dont il contrôle aussi le château. Étant à mi-chemin de Londres et Cantorbéry, cela lui permet de menacer deux villes importantes. En avril 1088, il débute des raids ravageurs contre les possessions archiépiscopales de Cantorbéry. Puis il rejoint son frère Robert à Pevensey, car celui-ci aurait reçu des renforts du duc Robert Courteheuse.
Guillaume le Roux est informé de son départ de Rochester, et sachant qu'Odon est son principal adversaire vient l'assiéger à Pevensey. Le château tombe au bout de six semaines. Odon se voit offrir la liberté à deux conditions : il doit négocier la reddition du château de Rochester dans lequel sont retranchés quelques barons normands et flamands, et il devra ensuite s'exiler. Le roi Guillaume l'envoie accompagné d'un détachement devant le gros des troupes, mais Odon et son escorte sont capturés par la garnison de Rochester, et la rébellion continue pour quelques semaines supplémentaires.
L'échec de la révolte entraîne son bannissement d'Angleterre, et la perte de toutes ses terres.
Il passe ses dernières années dans son diocèse de Bayeux. En 1096, il répond à l'appel de la Première croisade, accompagné de son neveu, le duc Robert Courteheuse, fils aîné du Conquérant. Il meurt début 1097 à Palerme (Sicile) sur le chemin de la Terre Sainte, alors qu'il rend visite à Roger le Grand, comte normand de Sicile.
Une image contrastée
Odon de Bayeux est connu pour être l'archétype du
Normand : ambitieux, brutal, et énergique. Il acquit une mauvaise réputation, d'homme cruel et vicieux, aimant la luxure. Il dépouilla beaucoup de gens pour distribuer leurs biens à d'autres. Le pouvoir ecclésiastique ne l'appréciait pas également, car il incarnait tout ce que détestaient les papes réformistes : un laïc, non désigné par l'Église, exerçant un office séculier, détournant les ressources générées par son diocèse et assoiffé de pouvoir et de richesse. Comme chez ses contemporains
Geoffroy de Montbray et Yves III de Bellême, la religiosité s'effaçait asez rapidement sous les traits du grand seigneur temporel.
Toutefois, il oeuvra admirablement pour son diocèse, le réorganisant, et étendant son chapitre . Il finança la reconstruction de la cathédrale de Bayeux, qui fut consacrée en 1077, et du palais épiscopal. Il acheta de nombreuses terres pour sa cathédrale, et à l'orée du XIIe siècle, l'effectif inféodé de l'évêché était trois fois plus important que n'importe quel autre évêché normand. Aucun ecclésiastique normand n'avait autant de chevaliers à sa disposition.
Il est le très probable commanditaire de la Tapisserie de Bayeux avec laquelle il orna la cathédrale. Il patronna aussi de nombreux clercs qui se formèrent en partie dans l'école cathédrale. Certains occupèrent des postes très importants. Parmi eux figurent trois archevêques d'York: Thomas Ier (1070-1100), Thomas II (1109-1114), et Thurstan (1114-1140); Samson, évêque de Worcester (1096-1112); Guillaume de Saint-Calais, évêque de Durham (1080-97), probable superviseur et compilateur du Domesday Book, conseiller de Guillaume le Roux, Vital de Savigny, fondateur de l'ordre de Savigny et Guillaume de Rots, abbé de Fécamp.
Orderic Vital résume ce portrait contrastée en écrivant que « les vices, en cet homme, étaient mêlées avec les vertus ».
Descendance
Il eut un fils illégitime, Jean de Bayeux († 1131). D'après
Orderic Vital, il vivait à la cour d'Henri Ier Beauclerc, où il était apprécié pour son éloquence et sa probité.
Voir aussi
Notes et références
..
Sources
- Christopher Teyerman, « Odo of Bayeux », dans Who's who in early medieval England, 1066-1272, Éd. Shepheard-Walwyn, 1996, p. 23-25. (ISBN 0856831328).
- David R. Bates, « The Character and Career of Odo, Bishop of Bayeux (1049/50-1097) », dans Speculum, vol. 50, n°1 (1975), p. 1-20.