Palmyre (en Grec ancien Πάλμυρα) est une oasis du désert de Syrie à 210 km au nord-est de Damas. Son nom sémitique, attesté déjà dans les archives de Mari (XVIIIe siècle av. J.-C.) est Tadmor (تدمر). C'est toujours son nom actuel.
L'origine de Palmyre
L'histoire de Palmyre à l'
Age du Bronze est mal connue : la ville s'est en effet développée sur un
Tell qui fut au I
er siècle recouvert par la terrasse du Sanctuaire de
Bel. C'est au I
er siècle
av. J.-C. que la cité est mentionnée dans les sources gréco-romaines. Elle faisait partie d'un réseau marchand reliant la
Syrie à la
Mésopotamie et à la côte méditerranéenne.
La Bible attribue la construction de Palmyre au roi Salomon (« Et il bâtit Tadmor dans le désert » II Chr VIII:4).
Palmyre gréco-romaine
Quand les
Séleucides prirent le contrôle de la
Syrie en
323 av. J.-C., la ville devient indépendante. En
41 av. J.-C., les romains, conduits par
Marc Antoine, essayent de piller Palmyre mais ils échouent, les habitants de la ville s'étant réfugiés avec leurs biens de l'autre côté de l'
Euphrate. On en déduit que les Palmyréniens de cette époque étaient encore pour l'essentiel des nomades, vivant de l'élevage et du commerce caravanier.
Intégrée à l'Empire Romain sous Tibère, dans le cadre de la province romaine de Syrie, Palmyre atteignit son apogée sous Hadrien, qui lui donna le statut de cité libre en 129. C'était alors une ville splendide, qui se développa jusque sous les Sévères. En 212 l'empereur Caracalla promut Palmyre et sa voisine Émèse au statut de colonie romaine. L'armée romaine y entretenait une garnison de soldats auxiliaires dans un camp au nord de la ville.
Au cours de la crise du IIIe siècle, Palmyre échappa aux invasions perses qui ravagèrent la Syrie en 252 et 260. Après 260 c'est un notable de Palmyre, Odénath, qui fut chargé par l'empereur Gallien de coordonner la défense de l'Orient. Quand sa veuve Zénobie tenta de prendre le pouvoir comme impératrice avec son fils Wahballat, Palmyre se retrouva impliquée un peu malgré elle dans une guerre civile romaine. En 273, vaincue par Aurélien à Antioche puis à Émèse, Zénobie se replia avec ses troupes sur Palmyre, où Aurélien vint la poursuivre. Dans un premier temps les notables de Palmyre se rallièrent à Aurélien et chassèrent Zénobie, qui fut arrêtée. Aurélien laissa à Palmyre une petite garnison et rentra en Italie. À ce moment éclata dans la cité une révolte qui tenta de remettre le pouvoir à Antiochos, le père de Zénobie. Aurélien revint sur ces pas, mata la révolte et exerça des représailles sur la ville. Ses principaux sanctuaires furent pillés, et l'empereur réquisitionna tout le quartier ouest de la ville pour y installer à demeure la Ière Légion Illyrienne.
Au IVe siècle et par la suite, Palmyre n'est plus la prospère cité caravanière d'autrefois. C'est une ville de garnison, occupée par la Ière Légion Illyrienne, étape d'une route militaire reliant la région de Damas à l'Euphrate (la Strata Diocletiana). La partie monumentale de la ville est protégée par un rempart qui laisse en-dehors tout le quartier sud (entre le wadi et la source Efqa), quartier peut-être abandonné à cette date. Sous Constantin Ier les forts de la Strata Diocletiana furent pour la plupart abandonnés mais Palmyre demeura jusqu'au VIe siècle une ville romaine occupée par l'armée, tandis que la steppe tout autour était occupée par des communautés de moines monophysites, et contrôlée par les tribus arabes Ghassanides, chrétiennes et alliées de l'empire. Des églises sont construites, tandis que d'anciens temples païens comme la cella de Baalshamin ou encore celle du sanctuaire de Bel sont convertis en églises et décorés de peintures murales.
Sous Justinien au VIe siècle l'enceinte fut renforcée de tours, et les adductions d'eau furent restaurées. La ville qui, selon Procope de Césarée, était "devenue depuis longtemps un désert", reçut une nouvelle garnison qui constituait le poste avancé de la Syrie contre les invasions des Perses ou des Saracènes (les Arabes).
l'urbanisme de Palmyre
Au temps de son apogée au début du III
e siècle la ville de Palmyre était beaucoup plus étendue que l'actuel site archéologique, pourtant très vaste. La plupart des maisons était faite de brique crue, qui n'ont guère laissé de vestiges visibles. Ce que l'on voit aujourd'hui c'est le squelette de pierre de la ville, c’est-à-dire les monuments publics, ou parfois simplement les colonnes qui entouraient l'atrium des demeures les plus riches, tandis que le reste a disparu.
La ville s'est d'abord développée à l'emplacement du sanctuaire de Bel puis, quand le grand parvis a été construit au Ier siècle, elle s'est étendue entre le sanctuaire de Bel et la source Efqa au sud-ouest (là où aujourd'hui il n'y a plus que les jardins de l'oasis). Autour de la ville sont venues se fixer des familles arabes d'origine nomade, chacune autour de son sanctuaire tribal, comme celui de Baalshamin ou, tout à l'ouest sur la route d'Émèse, celui d'Allat. Au cours du IIe siècle ces banlieues ont été intégrées au tissu urbain avec la construction du quartier monumental structuré autour de la grande colonnade.
Pendant cette période prospère, Palmyre était une ville ouverte, dépourvue de rempart. Il existait un mur (traditionnellement appelé "mur de la douane") entourant un très vaste secteur tout autour de la ville, mais ce mur de pierres ou de brique crue selon les secteurs n'avait aucune fonction militaire ou de prestige, c'était semble-t-il une simple limite administrative pour le paiement des taxes fixées par le "tarif de Palmyre", datant de l'empereur Hadrien. À la fin du IIIe siècle un rempart défensif fut construit à la hâte en remployant des pierres prélevées sur des monuments funéraires, et ne protégeant que le quartier monumental, tandis que le reste de la ville était sans doute abandonné.
la société palmyrénienne
Les très nombreuses inscriptions retrouvées sur place permettent de connaître l'organisation de la cité à l'époque romaine. Palmyre a adopté les institutions grecques : elle est gouvernée par une
boulè, assemblée des principaux propriétaires terriens, et un
démos (peuple) constitué des citoyens. Les responsabilités particulières sont confiées à des magistrats pris dans la boulè, tels que les "stratèges" ou les "agoranomes".
Ces institutions sont demeurées en place jusqu'au IVe siècle, y compris semble-t-il pendant la crise du IIIe siècle, quand Odénath fut salué du titre de resh (en grec "exarque") de Palmyre : il doit s'agir d'un commandement militaire. Quant au titre de "roi des rois" porté plus tard par ce même Odénath, et repris par sa veuve Zénobie et son fils Wahballat, il ne signifie pas pour autant que Palmyre ait changé de régime, puisque les inscriptions montrent qu'à cette époque c'est toujours la boulè et le démos qui font les lois.
A côté de ces institutions civiles, les élites de la cité étaient organisées en collèges de prêtres pour le culte rendu aux principaux dieux. Le plus prestigieux de ces collèges était celui des prêtres de Bel, présidé par le "symposiarque" ("chef du banquet").
Les commerçants et les artisans de Palmyre étaient organisés eux aussi en corporations : on connaît celles des corroyeurs, des orfèvres, des fabriquants de radeaux d'outres (radeaux pneumatiques nommés keleks utilisés jusqu'au IXe siècle pour descendre l'Euphrate ou le Tigre).
le commerce caravanier
Palmyre a été du
Ier siècle au III
e siècle la plus grande puissance commerciale du Proche-Orient, prenant le relais de
Pétra, la cité caravanière des
Nabatéens. Palmyre exploitait une route caravanière qui, passant par des caravansérails dans la steppe, gagnait les bords de l'
Euphrate et les longeait jusqu'à la région de
Babylone. De là ces caravanes gagnaient le royaume de Mésène à l'embouchure du
Tigre et de l'
Euphrate. Des navires partaient de là pour gagner l'
Inde ou d'autres ports de l'
Océan Indien. On a récemment retrouvé une tablette votive laissée par un Palmyrénien nommé Abgar, en 256, sur l'île de
Socotra au large de la
Somalie.
Les caravanes de Palmyre étaient des entreprises saisonnières et annuelles. Les différents marchands s'associaient pour grouper leurs expéditions, sous la responsabilité d'un "synodiarque" ou "chef de caravane", puissant commerçant qui prenait en charge une partie des frais. Si des caravansérails ont été identifiés par les archéologues aux sorties de la ville, c'est au coeur du quartier monumental que se trouvait le centre commercial, une place entourée de boutiques et nommée "agora" de Palmyre.
Des communautés de commerçants palmyréniens expatriés étaient installées à demeure dans les différentes étapes de ce réseau commercial. On connaît grâce aux inscriptions l'existence de cette diaspora à Séleucie du Tigre (au sud de l'actuelle Bagdad) au Ier siècle, puis à Ctésiphon (capitale des Parthes, face à Séleucie), à Vologésias, cité commerciale fondée par les Parthes sans doute non loin du site de Babylone, et surtout à Spasinou Charax (ou Charax de Mésène), capitale du royaume de Mésène. Là, la communauté palmyrénienne était si implantée et si influente que des Palmyréniens pouvaient y occuper des fonctions officielles auprès du roi. D'autres Palmyréniens étaient implantés en Égypte sur les bords de la Mer Rouge. Enfin, il existait une communauté palmyrénienne à Rome même, installée au IIe siècle dans le quartier du Trastevere.
Ce trafic caravanier s'est poursuivi jusqu'aux années 260, y compris quand la Mésène et la Mésopotamie étaient sous la domination des Perses Sassanides. C'est après l'assassinat d'Odénath et la tentative de prise du pouvoir par Zénobie que les caravanes cessent d'être attestées. Beaucoup plus tard au VIe siècle, c'est la ville de La Mecque dans le Hedjaz qui prendra la succession de Palmyre comme plaque tournante du commerce caravanier.
Les marchandises exotiques dont Palmyre faisait ainsi commerce du Ier au IIIe siècle sont mal connues dans le détail. Il est certain qu'il s'agissait pour l'essentiel de marchandises précieuses, représentant une grande valeur sous un faible volume, comme les tissus de luxe (notamment la soie), les perles, les pierres précieuses, les aromates. Les Palmyréniens eux-mêmes, du moins les plus riches, étaient grands amateurs de ces produits. Les reliefs représentant les riches Palmyréniens en costume parthe montrent que ces costumes sont couverts de rangées de perles, qui ne viennent guère à cette époque que de l'Inde ou de l'île de Ceylan. D'autre part on a retrouvé dans les tombes de Palmyre des fragments de soieries chinoises, parfois brodées de dragons.
Les guerriers de Palmyre
Pour protéger ces caravanes, les Palmyréniens se faisaient aussi soldats. Le territoire de Palmyre, au nord de la ville, possédait au
IIe siècle de véritables haras dans la steppe où l'on élevait des chevaux, à des fins qui ne peuvent être que militaires. La ville elle-même avait une garnison de l'armée régulière romaine, mais les bédouins ou les paysans du territoire de la cité formaient des guerriers montés sur des chevaux ou des chameaux et combattant à la lance ou à l'arc.
Ces guerriers arabes furent enrôlés dans l'armée romaine, surtout à l'époque des Sévères. Certains furent incorporés à l'armée régulière, comme la XXe Cohorte des Palmyréniens, unité de cavalerie qui formait la garnison de Doura Europos aux bords de l'Euphrate sous Sévère-Alexandre. D'autres, servant comme numeri, troupes informelles commandées par des officiers romains mais gardant leur équipement traditionnel, furent basés sur les bords du Danube ou encore, pour des méharistes, dans la province de Numidie (en Algérie actuelle). Il n'est pas douteux que cette cavalerie palmyrénienne ait constitué une grande partie des forces militaires d'Odénath puis de Zénobie.
Les dieux de Palmyre
Selon Jean Starcky, les Palmyréniens de l'époque hellénistique adoraient une divinité suprême nommée
Bôl ("le Seigneur" dans le dialecte
Araméen de Palmyre). Très tôt, sous l'influence de
Babylone, ce dieu suprême fut désigné comme "
Bel", forme babylonienne. D'autres dieux lui étaient associés comme
Aglibol (dont le nom conserve la forme ancienne) et
Malakbel, littéralement "l'Ange (
malak) du Seigneur (
Bel)". Ce sont là semble-t-il les dieux historiques de Palmyre.
Avec l'arrivée d'autres Syriens ou d'Arabes nomades de plus en plus nombreux, d'autres dieux viennent ajouter leurs sanctuaires à celui de Bel, voire s'y assimilent. C'est ainsi qu'on éleva un temple au dieu solaire syrien Baalshamin (littéralement "le Seigneur (Baal) des Cieux (shamin)"), qui fut assimilé à Bel. D'autres Arabes édifièrent à l'ouest de la ville un sanctuaire à la déesse arabe Allat, assimilée par les Grecs à Athéna. Dans ce temple, fouillé par les archéologues polonais, ont été retrouvées deux statues d'Allat : la première, du Ier siècle, représente la déesse comme un lion protégeant une gazelle, la seconde, plus récente, est tout simplement une statue en marbre d'Athéna, dans le style de Phidias, importée de Grèce. Au sud du sanctuaire de Bel se trouvait le sanctuaire de Nébo, un dieu d'origine babylonienne (Nabu), assimilé par les Grecs à Apollon.
D'autres dieux sont attestés à Palmyre : Arsou et Azizou, dieux chameliers protecteurs des caravanes, ainsi que le dieu Hammon, d'origine sans doute égyptienne.
Le culte le plus important était rendu à Bel, le dieu protecteur de la cité. C'est à lui qu'est dédié l'immense sanctuaire de Bel, entouré de portiques, orné de dizaines de statues de bienfaiteurs auant contribué à le construire. Ce sanctuaire, à peu près contemporain du Temple de Jérusalem bâti par Hérode, lui est très comparable, tant pour les dimensions que pour la disposition générale et le style architectural. Sur l'immense parvis ouvert sur la ville par des propylées entourés de deux tours se trouvaient un bassin, un autel monumental pour les sacrifices, une salle des banquets où se réunissaient les prêtres de Bel, et surtout la cella monumentale, à laquelle sans doute seuls les prêtres pouvaient accéder. À l'intérieur, deux niches surélevées (l'équivalent du Saint des saints) contenaient les statues divines. Concession à l'Empire Romain, on y plaça au Ier siècle aussi la statue de Germanicus et de Tibère.
Le dieu était peut-être aussi présent sous la forme d'un Bétyle. Une niche, creusée dans le mur extérieur de la cella, abritait sans doute une pierre sacrée à laquelle les pèlerins pouvaient ainsi accéder, comme celle de la Kaaba de La Mecque. Un bas-relief représente la procession de la pierre sacrée (ou est-ce autre chose ?), placée sur un chameau dans une qubba fermée par des tentures, et au passage de laquelle les femmes voilent complètement leur visage de manière rituelle.
La ville islamique
Palmyre fut prise au VIIe siècle par les Musulmans, quand elle ouvrit ses portes en 634 à Khalid ibn al-Walid. Sous les califes omayyades la ville évolua. La construction de boutiques au beau milieu de la grande colonnade transforma cette artère principale en souk, comme dans les autres villes de Syrie. Les califes firent construire dans la steppe aux environs de Palmyre des domaines luxueux, comme Bkhara au sud-est (ancien fort romain transformé en château omeyyades|omeyyade), ou le magnifique palais de Hisham à Qasr el Heyr el Gharbi, à l'ouest de la ville. Palmyre elle-même eut à souffrir des guerres civiles qui précipitèrent la fin des Omeyyades.
Au temps des Croisades, Palmyre dépendit des émirs Bourides de Damas, puis passa au pouvoir de l'atabeg zengide Tughtekin, puis de Mohammed fils de Shirkuh, en tant qu'émir de Homs dépendant de Saladin. C'est quand Palmyre dépendait des Bourides de Damas qu'en 1132 le chambellan Nasir ad-Din transforma le sanctuaire de Bel en forteresse. La cella du temple fut transformée en mosquée. Au XIIIe siècle la ville passe sous le contrôle du sultan mamelouk Baybars (le texte d'un décret de Baybars relatif aux droits de pâturage des habitants de Tadmor a été retrouvé gravé sur le mur est de la cella de Bel).
La ville fut pillée par Tamerlan en 1401, mais semble s'en être relevée. Au XVe siècle Ibn Fadlallah al-Omari décrit Tadmor en vantant ses "vastes jardins, la prospérité de son commerce et ses curieux monuments". Au XVIe siècle Fakhr ed-Din al Maany fit construire un château-fort, le Qalat Ibn Maan, sur la montagne qui domine la ville à l'ouest. À l'époque ottomane, Palmyre décline. Au XVIIe siècle la ville semble avoir retrouvé ses dimensions de l'Âge du Fer : ce n'est plus qu'un village enfermé dans l'enceinte fortifiée de l'ancien sanctuaire de Bel. Tout le reste a été abandonné.
A partir du XVIIe siècle, Palmyre devient célèbre en Europe car des voyageurs européens en ont publié des descriptions enrichies de gravures saisissantes. Ses magnifiques ruines, la qualité classique de son architecture remontant à l'époque romaine (IIe siècle), forment un contraste saisissant avec le désert alentour.
Au XIXe siècle les Ottomans y installent une petite garnison, tandis que les archéologues venus d'Europe et des États-Unis commencent l'étude systématique des ruines et des inscriptions. Après la Première Guerre mondiale, la Syrie est occupée par les Français dans le cadre d'un mandat de la Société des Nations. L'armée française implante à Palmyre une unité de méharistes et construit un terrain d'aviation pour le contrôle aérien de la steppe. Les fouilles archéologiques sont organisées sur une grande échelle : le village qui occupait le sanctuaire de Bel est détruit et la population relogée dans une ville moderne construite au nord du site archéologique, tandis que le temple antique est restauré.
Depuis l'indépendance de la Syrie la ville moderne de Tadmor s'est considérablement développée. Le terrain d'aviation est devenu une base militaire, mais le projet d'en faire un aéroport civil pour développer le tourisme n'a jamais été mené à bien. Il y a aussi une prison de sinistre réputation. Comme dans l'Antiquité, la ville vit de l'agriculture dans l'oasis, de l'élevage bédouin dans la steppe, tandis que les profits autrefois tirés du grand commerce sont remplacés par les revenus non négligeables du tourisme.