René Guénon, né le
15 novembre 1886 à
Blois en
France et mort le
7 janvier 1951 au
Caire en
Égypte, est un
Auteur français, ayant écrit une trentaine d'ouvrages – régulièrement réédités – qui ont trait, principalement, à la
Métaphysique, à l'ésotérisme et à la critique du monde moderne.
Dans son oeuvre il se propose, soit d'« exposer directement certains aspects des doctrines métaphysiques de l'Orient », doctrines métaphysiques que René Guénon définissait comme étant « universelles », soit d'« adapter ces mêmes doctrines en restant toujours strictement fidèle à leur esprit » ; il ne revendiqua que la fonction de « transmetteur » de ces doctrines, dont il déclarait qu'elles sont de nature essentiellement « non-individuelle », reliées à une connaissance supérieure, « directe et immédiate » qu'il nomme « intuition intellectuelle ». Ses ouvrages, écrits en Français (il contribua également en Arabe pour la revue El Maarifâ), sont traduits en plus de vingt langues.
Son oeuvre, qui oppose aux civilisations orientales restées selon lui fidèles à l'« esprit traditionnel », l'ensemble de la civilisation moderne considérée comme déviée, a modifié en profondeur la réception de l'ésotérisme en Occident dans la seconde moitié du XXe siècle, et a eu une influence marquante sur des auteurs aussi divers que Mircea Eliade, Raymond Queneau ou encore André Breton.
Biographie
Les années de jeunesse
René Guénon est né le
15 novembre 1886 à
Blois, en
France, dans une famille catholique. Son père était architecte. De santé fragile, c'est un excellent élève, en sciences comme en lettres. Il entre en classe de mathématiques élémentaires en 1904. Il est particulièrement remarqué par son professeur de philosophie,
Albert Leclère, qui devait l'année suivante être nommé professeur à l'université de
Fribourg, en
Suisse. Albert Leclère était un spécialiste des philosophies
présocratiques et évoquait avec sympathie l'hypothèse d'un savoir
métaphysique transmis de façon ininterrompue, une idée qui était déjà un peu en vogue au XIX
e siècle, notamment dans les ouvrages d'auteurs tels Frédéric Portal, Jallabert, ou F. de Rougemont.
Paul Chacornac (l'un des biographes de René Guénon) signale la forte personnalité de Leclère et
Jean-Pierre Laurant voit en Leclères une figure qui marquera Guénon intellectuellement. Cette affirmation est contestée par d'autres auteurs. Ainsi
David Gattegno écrit qu'il « n'y a rien sur quoi tabler pour établir le degré d'influence de Leclère », et il reproduit également une citation de
René Alleau qui précise que, par la connaissance de « ce point de départ » (la pensée de Leclère) on est davantage capable « d'admirer la disproportion entre les sources et le point d'arrivée » : la doctrine plus tard exposée par René Guénon sur l'unité fondamentale de la Métaphysique serait sans commune mesure, selon ces auteurs, à l'idée diffuse d'une transmission historique de certains éléments développée par divers auteurs du XIX
e siècle. Les biographes s'accordent cependant pour voir en L'abbé
Ferdinand Gombault (1858-1947), qui était docteur en philosophie, une origine possible de certaines informations que Guénon tenait sur le spiritisme. Guénon entretiendra d'ailleurs une relation avec lui jusqu'au jour de son départ pour l'Égypte, en 1930. Dès son adolescence, il rencontra le chanoine chez sa tante. On notera les préventions de l'abbé contre la philosophie allemande (
Dialogues philosophico-théologiques sur la Providence, 1895), sa sévère condamnation du spiritisme (
L'imagination et les phénomènes préternaturels, 1899) ainsi que sa conviction d'une langue hiéroglyphique originelle (
Similitude des écritures figuratives, 1915). Pour Jean-Pierre Laurant, c'est de l'abbé que Guénon aurait sa vision du mysticisme comme étant purement passif.
Dans les brisées du mouvement occultiste français
En octobre
1904, suivant les conseils de ses professeurs de collège, René Guénon s'installe à
Paris pour étudier les mathématiques. Il entre au collège Rollin en classe de mathématiques spéciales et, en
1905-
1906, s'inscrit à l'Association des candidats à l'Ecole Polytechnique et à l'Ecole Normale. Mais, suite à des difficultés, causées entre autres par sa santé déficiente, il ne persévéra pas, et il abandonna ses études en 1906. Installé rue saint Louis en L'Ile, il changea alors complètement d'orientation et s'intéressa à un milieu d'une nature très différente: le mouvement occultiste français, qui datait de 1888 et qui était dirigé par Gérard Encausse (
1865-
1916), médecin de formation, plus connu sous le pseudonyme de
Papus.
René Guénon suit donc un camarade jusqu'au n° 13 de la rue Séguier, adresse de l'Ecole Hermétique, annexée au vaste Groupe Indépendant d'Études Ésotériques (G.I.E.E.) crée par Papus. Il gravit très vite les échelons: en premier lieu, et gräce à Léon Champrenaud, collaborateur à la revue l'Initiation sous le pseudonyme de Noël Sisera, il fut initié à l' Ordre martiniste crée en 1891 par Papus, puis investi "Supérieur Inconnu" par un autre des "professeurs": Phaneg (alias Georges Descormiers). Ensuite, il se fait recevoir dans la loge symbolique Humanidad, n° 240 du Rite National espagnol dont le Vénérable est Téder (Charles Détré), et au temple de perfection I.N.R.I., siège social de la Grande Loge Swedenborgienne de France, en 1906. En avril 1908, il reçoit le cordon de soie noire du Kadosh du Rite Écossais de Memphis-Misraïm, et, deux mois plus tard, une patente de 30°-90°. Papus lui ouvre également les portes de la revue L'Initiation, dans laquelle le jeune homme publie ses premiers articles au début de 1909.
En 1908 Papus fit organiser le IIe Congrès Spiritualiste et Maçonnique, qui se déroula du 7 au 10 juin. L'un des objectifs affiché était de fédérer les innombrables branches de l'occultisme d'alors: les gnostiques de Fabre des Essarts, les théosphistes de Madame Helena Blavatsky, les alchimistes de Jollivet-Castellot, les "kaballistes" etc. tous réunis sous l'autorité de Papus. Un autre objectif était l'édification d'une Maçonnerie dont Téder (Charles Détré) souhaitait arracher la direction au Grand-Orient. Le 24 juin suivant, Théodore Reuss (alias Frater Peregrinos), Grand Maître du Souverain Sanctuaire d'Allemagne, signait la patente du Souverain Grand-Conseil du Rite de memphis-Misraïm. La Loge Humanidad qui était auparavant rattachée au Rite Espagnol, en devint Loge-Mère. René Guénon, en tant que secrétaire du Congrès, se tenait sur l'estrade d'honneur. Lorsque Papus prononça son discours d'ouverture, il fit ouvertement référence à la théorie de la réincarnation: Guénon se désodilarisa alors immédiatement du Congrès: de nombreuses années plus tard, il proposera une réfutation globale des thèses réincarnationistes dans son ouvrage L'Erreur spirite. Cet évènement, joint à un autre - la constitution de l'Ordre du Temple Rénové - achevèrent la rupture totale de René Guénon avec ce milieu.
Ce passage de René Guénon dans le milieu occultiste a donné lieu à plusieurs commentaires, à commencer par ceux de Guénon lui-même; ainsi on apprendra beaucoup plus tard qu'il avait un temps nourri le projet d'écrire un ouvrage intitulé L'Erreur occultiste, pour faire pendant à son autre livre L'Erreur spirite, mais qu'il avait finalement renoncé à ce travail après avoir fait la constatation que ce mouvement ne représentait plus rien. D. Gattegno écrit que par quelque bout qu'on prenne les choses, le niveau intellectuel et culturel de cette vague occultiste "s'avère totalement affligeant", et qu'elle fut surtout l'occasion pour René Guénon de pénétrer un milieu afin d'en attirer les individualités les plus remarquables. Par ailleurs, autour de Papus, écrit D. Gattegno, les orientations "néo-spiritualistes" vont emprunter des chemins très divers, notamment avec Émile Gary de Lacroze, Léonce de Larmandie, sans parler d'individualités jugées bien plus intéressantes par Guénon et qui ne feront que traverser l'occultisme papusien sans se confondre avec lui: Stanislas de Guaita, Joséphin Péladan, Paul Vulliaud, Albert de Pouvourville et bien d'autres encore qui défrayèrent la chronique de ce "Paris occultiste" dont l'histoire se confond avec la Belle Époque et la protéiforme effervescence du Symbolisme artistique et littéraire. Pour D. Gattegno cependant l'oeuvre de Guénon ne procède à aucun degré de ce mouvement. Paul Chacornac note que la présence de René Guénon dans ce milieu lui permit au moins de pénétrer une organisation d'un caractère à la fois plus sérieux et énigmatique: l'Hermetic Brotherhood of Luxor (H. B. of L.), héritée au moins en partie des multiples organisations de Paschal Beverly Randolph (dont la fraternité d'Eulis). René Guénon dira plus tard qu'il avait effectivement appartenu à la H. B. of L., dépositaire, selon Paul Chacornac, de certaines « connaissances effectives. »
L'Ordre du Temple Rénové
Un événement va toutefois précipiter la rupture avec les groupes papusiens: la participation, centrale pourrait-on dire, de René Guénon à l'Ordre du Temple Rénové (O.T.R.)
L'Hermetic Brotherhood of Luxor, ou H. B. of L., était une organisation possédant un caractère extrêmement secret et dont l' Ordre Martiniste d'alors servait, selon Paul Chacornac, de couverture extérieure. Or depuis le 19 janvier 1908 des séances se déroulaient à l'hotel du 17 rue des canettes, séances dont les participants étaient des membres de l'Ordre Martiniste et qui reçurent l'ordre de constituer un "Ordre du Temple Rénové", constitué de 21 membres, et dont René Guénon devait être le "Souverain Grand Commandeur". Contacté par les martinistes, ce dernier répondit favorablement à l'appel. Les conditions dans lesquelles se déroulèrent ces séances furent diversement interprétées: Jean-Pierre Laurant, ainsi que D. Gattegno parlent d'« écriture automatique » tandis que Michel Vâlsan mentionne des "moyens appropriés" pour la réactualisation d'une forme initiatique proprement occidentale. En tous cas, la constitution de cet ordre entraîna les foudres de Téder et celui-ci rédigea, pour le compte du "Grand Maïtre Papus", un acte d'accusation comportant des fausses lettres de Guénon, selon une méthode qu'il avait déjà utilisée contre le Grand Orient de France pour discréditer deux Grands Maîtres des débuts de la franc-maçonnerie française: le chevalier écossais James Hector MacLeane, et Charles Radcliffe, comte de Derwentwater, tous deux jacobites. Téder, qui avait commencé sa carrière dans l'antimaçonnisme (avec son roman Les apologistes du crime) , était passé en Belgique d'où il s'était fait expulser pour une affaire de chantage, puis s'était réfugié en Angleterre, pays dans lequel il rencontra John Yarker qui lui conféra ses titres de Maçonnerie "irrégulière" (ou tout au moins en marge de la Maçonnerie dite régulière.). Dans son "rapport", il engagea Papus à prendre "des mesures énergiques" contre Guénon, qui fut donc radié de l'Ordre Martiniste, ainsi que des loges affiliées. L'O.T.R. fut dissous par René Guénon en 1911.
L'Église Gnostique
Nous sommes en
1893: soit plus de 15 années avant la formation de l'O.T.R. Dans l'hôtel de la duchesse de Pomar, Lady Caithness, il est décidé de procéder à la restauration de l'"Eglise Gnostique", faisant référence à Guilhabert de Castres. Aussitôt,
Jules Doinel dira avoir retrouvé tout une documentation à la Bibliothèque départementale à Orléans où il était employé,attestant de la validité de cette restauration. Il est élu patriarche de l'E. G. et adopte le nom de Valentin II. Il consacre alors trois "évêques": Tau Vincent (Papus), Tau Synésius (Léonce Fabre des Essarts) et Tau Bardesane (Chamuel): la lettre grecque "tau" est une signature épiscopale. Après sa fondation, Rome excomunie l'Église Gnostique. Jules Doinel, qui avait reçu une solide éducation religieuse, n'avait rompu aucune de ses amitiés catholiques. Saisi par l'angoisse, il retourne dans le giron de l'Église de Rome, puis revient à l'E. G. et, au terme de toute une suite de "revirements", quitte ce monde "tant et si bien que nul n'a pu établir dans quelles dispositions il put bien, au juste, se trouver à sa mort". L'un des membres introduits dans l'Eglise gnostique était Jean (ou Joanny) Bricaud: Tau Johannès. René Guénon le mentionnera dans son livre sur le Théosophisme. Le nombre d'organisations occultistes auxquelles ce personnage aura appartenu simultanément ou successivement est considérable: l'Église gnostique johannite templière de Fabré-Palaprat, l'Église gallicane dont Mgr Giraud le consacrera dans la filiation syro-jacobite d'Antioche, le Réveil gnostique, le Catholiscisme ésotérique (fusion de l'´Êglise néo-cathare, johannite templière et "carméléenne") etc. et surtout, donc, l'Église carméléenne de
P. E. Vintras, dont il avait reçu dépot, par l'intermédiaire de l'abbé Boullan, d'énigmatiques "hosties sanglantes". Il a également porté le nom de Jean des Esseintes, en référence au roman "À rebours" de
Joris-Karl Huysmans, et fut l'auteur d'une brochure de sorcellerie intitulée "Méthode pratique pour l'incubat et le succubat", plus ou moins inspirée de Boullan, quoique se limitant, écrira René Guénon dans
L'Erreur spirite à de l'auto-suggestion. « À sa mort, son génie de l'organisation avait installé Bricaud à la tête d'un véritable "consortium" pseudo-initiatique ». Léonce Fabre des Essarts (
1848-
1917), ami personnel de
Victor Hugo, admirateur de Saint-Yves d'Alveydre, fut un temps militant socialiste républicain et franc-maçon, teinté d'orientalisme par la fréquentation de Tau Simon (Albert de Pouvourville) et Tau Théophane (Léon Champrenaud).
René Guénon avait rencontré Léonce Fabre des Essarts au Congrès Spiritualiste. Quand Guénon se fit exclure des groupements de Papus suite à l'affaire de l'O.T.R., Léon Champrenaud l'invita chez Synésius. Guénon fut aussitôt élevé au rang d'"évêque", sous le nom de Tau Palingénius (Re-né), et Synésius offrit à Guénon la direction de la revue La Gnose, "revue mensuelle consacrée à l'étude des sciences ésotériques", dont Tau Marnès (Alexandre Thomas) était le rédacteur en chef et le gérant, et Tau Mercuranus (Patrice Genty) le secrétaire de rédaction. C'est dans cette revue que Théophane, en tant que Matgoï, donna les premières pages de ses deux ouvrages sur les doctrines extrême-orientales: La Voie Métaphysique (1905) et La Voie rationnelle (1907). L'introduction de Guénon dans l'E.G. déclencha la colère de J. Bricaud qui qualifia l'E.G. de "valentino-albigeoise" et s'opposa dès lors à elle.
L'enseignement de l'Eglise Gnostique, tel qu'il apparaissait par les numéros de sa revue, était, grâce aux contributions de certains de ses membres, loin d'être médiocre et tranchait avec les productions occultistes de l'époque: Matgioi (Albert de Pouvourville) et Léon Champrenaud, rattachés respectivement au Taoïsme et à l'Islam, exercaient une influence intellectuelle majeure sur les autres membres, et Guénon se servit de cet appui: il comptait davantage sur eux que sur l'Eglise en elle même et il écrira ultérieurement que les "néo-gnostiques" n'avaient reçu aucune transmission réelle.
L'Eglise Gnostique prit fin peu de temps après la disparition de l'O.T.R.
La Gnose et les contacts orientaux
En
1910, durant la collaboration de René Guénon à la revue La Gnose, Théophane-Champrenaud entre en contact avec le peintre suédois
Ivan Aguéli (
1869-
1917), qui se consacrera à l'étude des traditions orientales et voyagera beaucoup, jusqu'aux Indes. A son retour en Europe, il publiera des articles et traductions en rapport avec l'ésotérisme islamique. Au Caire, le sheikh Abder Rahman Elish El-Kebir l'initia au soufisme (sous le nom d'Abdul-Hâdi) et le fit
moqqadem (c. a. d. « représentant » de la tarîqa shâdhilite, habilité à recevoir des disciples et leur transmettre l'initiation). Le sheikh Abder Rahman Elish El-Kebir était un représentant très important de l'
Islam, tant des points de vue ésotérique qu'éxotérique. Dans ce dernier domaine, il fut le chef du
madhab mâleki à
al Azhar. La tarîqa shâdhilite fut fondée au
XIIIe siècle (
VIIe sièclede l'Hégire) par le sheikh Abu-l-Hassan ash-Shadhili, une des plus grandes figures spirituelles de l'Islam, et qui fut, dans l'ordre ésotérique, le « pôle » (« qutb ») de son temps, ce terme désignant une fonction initiatique d'un ordre très élevé. Par Abdul-Hâdi, Léon Champrenaud est initié au soufisme sous le nom d'Abdul-Haqq et René Guénon, sous celui d'Abdel Wâhed Yahia (« Le serviteur de l'Unique »). Par ses relations avec Matgioï et avec Ivan Aguéli, René Guénon prit toutes les distances requises avec les publications de type occultiste. Il écrira plus tard à Nöelle Maurice-Denis Boulet n'être « entré dans le milieu de "La Gnose" que pour le détruire ».
L'apport intellectuel de Matgioi sera décrit par René Guénon en ces termes:
« Avant , la métaphysique chinoise était entièrement inconnue en Europe, on pourrait même dire tout à fait insoupçonnée. Il faut bien reconnaître que rien de vraiment sérieux n'avait été fait à ce point de vue jusqu'aux travaux de Matgioi. »
Dans son roman
Le Maître des Sentences,
Matgioi évoque, de façon plus ou moins précise, l'idée d'une filiation initiatique transmise par le Tong Song Luat, personnage éponyme du roman, côtoyé en Indochine. Cet homme, nommé Nguyen Van Lu dans le roman, avait confié son fils cadet aux soins du narrateur. Or le fils du « Maître des Sentences », Nguyen Van Cang, séjourna un certain temps à Paris, et il collabora à
La Voie (l'ancien nom de
La Gnose avant l'arrivée de Guénon). Paul Chacornac déduit de ces données une conjecture selon laquelle un enseignement oral fut donné à Guénon par Nguyen Van Cang, et André Préau alla dans le même sens dans son son article « Connaissance orientale et recherche occidentale » paru dans
Jayakarnataka en 1934. Selon Frans Vreede, dans une communication au Colloque de Cerisy-la-Salle, René Guénon reçut l'initiation d'une personnalité hindoue affiliée à une branche régulière d'un ordre remontant à
Shankaracharya, donc relevant de l'
Advaïta védanta.
Cependant, si l'on sait que c'est par l'intermédiaire d'Ivan Aguéli qu'il est initié au Soufisme en 1912, en revanche, certains commentateurs de Guénon sont parfois plus prudents à propos de l'initiation taoïste qu'il aurait reçue : par la connaissance directe du Taoïsme, faut-il entendre la simple fréquentation de Matgioi ou quelque chose d'un autre ordre ?
L'Ésotérisme chrétien et la Franc-Maçonnerie
Guénon écrit également des articles pour la revue
La France antimaçonnique, qui avait abandonné sa croisade pour se concentrer sur les « déviations » de la Franc-Maçonnerie contemporaine par rapport à ses origines ainsi que sur l'occultisme et les religions non-chrétiennes. Il rencontre alors le catholique anti-maçon
Olivier de Fremond (
1854-
1940), avec lequel il sera en correspondance jusqu'à la mort de ce dernier, qui le mettra plus tard en relation avec l'iconographe chrétien Louis Charbonneau-Lassay. Celui-ci fera part à Guénon de l'existence d'une organisation initiatique chrétienne dont les actes fondateurs auraient remonté au tout début du
XVIe siècle : La « Fraternité du Paraclet ».
La collaboration à cette revue devient régulière, notamment après la disparition de la revue La Gnose (en 1912). Guénon y aborde des questions relatives au symbolisme maçonnique, sans cacher sa qualité de Franc-Maçon : en effet, outre son ancienne appartenance à la maçonnerie papusienne, il intègre en octobre 1911 la Loge Thebah, rattachée à la Grande Loge de France, par l'intermédiaire d'Oswald Wirth, ancien secrétaire de l'occultiste Stanislas de Guaïta. Il la quitte en 1913 ou en 1914.
Plus hypothétique en revanche est son rattachement à un très secret « groupement de maitres à tous grades dont la tradition orale remontait à l'époque artisanale de la maçonnerie française » dont il aurait fait part à un ami hollandais, Franz Vreede.
La vie profane
L'année 1912 est une année décisive pour René Guénon : non seulement il a été initié au soufisme, mais il se marie, suivant le rite catholique. Il reprend des études à la
Sorbonne et obtient sa licence de lettres en 1915 avant d'obtenir un Diplôme d'études supérieures en philosophie des sciences avec un « Examen des idées de Leibnitz sur la signification du calcul infinitésimal .» Il sera en revanche refusé à l'oral de l' agrégation de philosophie en 1918.
Il enseignera néanmoins la philosophie dans divers établissements privés de 1916 à 1929, dont une année à Sétif, en Algérie (1917).
En parallèle, Guénon fréquente le cercle des philosophes et théologiens thomistes regroupé autour de Jacques Maritain, à qui il tentera, vainement, de faire accepter l'idée de la possibilité de l'existence d'un ésotérisme chrétien. C'est grâce à l'intercession de Maritain que le jeune homme trouve à publier ses premiers ouvrages : L'Introduction générale à l'étude des doctrines hindoues et Le Théosophisme, histoire d'une pseudo-religion, en 1921..
Premières publications et premières ruptures
L'Introduction générale à l'étude des doctrines hindoues devait servir à ouvrir à René Guénon les portes de l'Université : le projet, soumis à
l'indianiste Sylvain Lévi, avait reçu l'accord de principe de ce dernier, qui se rétractera en prenant connaissance de son contenu et des méthodes d'approche retenues : dans son rapport, Lévi reproche à l'auteur de cette thèse d'« exclure tous les éléments qui ne correspondent pas à sa conception (
Bouddhisme et
Protestantisme) » et d'être « tout prêt à croire à la transmission mystique d'une vérité première apparue au génie humain dès les premiers âges du monde ». Ce rejet de l'Institution universitaire est très mal accepté par Guénon.
La parution de L'Introduction... en librairie devait lui permettre en revanche de se faire de nouveaux contacts dans les milieux intellectuels et artistiques parisiens : il fait ainsi la connaissance du peintre cubiste Albert Gleizes (qui lui ouvre les portes du salon qu'il tient à Paris avec sa femme) ainsi que de l'écrivain et éditeur Gonzague Truc, qui devient alors « son principal conseiller en matière éditoriale ».
C'est pourtant par l'intermédiaire des catholiques thomistes que René Guénon publie, la même année, une étude minutieuse, très documentéeet mordante de la Société Théosophique fondée par Héléna Blavatsky en 1875, sous le titre évocateur de : Le Théosophisme, histoire d'une pseudo-religion.
Cet ouvrage était susceptible de plaire aux milieux catholiques conservateurs et cultivés : on y dénonçait, notamment, les antécédents révolutionnaires et anti-chrétiens d'Annie Besant, présidente en exercice de la société théosophiste, ainsi que, plus généralement, la prétention de l'organisation à renverser les religions établies, et notamment le Christianisme. Mais ces points de convergence circonstanciels ne pouvaient masquer longtemps le désaccord profond entre la conception guénonienne de la « Tradition » et le traditionalisme catholique : les relations avec le cercle Maritain se distendent à partir de 1923, tandis que la collaboration de Guénon à Regnabit, « revue universelle du Sacré-Coeur », s'interrompt brutalement en 1927, sous la pression de l'Archevêché.
A partir de 1925, René Guénon, dont les ouvrages déjà publiés lui ont attiré une certaine notoriété, publiera ses articles dans la revue : Le Voile d'Isis, qui sous son impulsion perd son orientation occultiste, jusqu'à devenir, à partir de 1936, les Études traditionnelles.
Le Départ pour l'Orient
En 1928, suite à des deuils familiaux dont la mort de sa femme, la santé de Guénon se détériore, et il se plaint de souffrir de maux étranges, dont il décèle l'origine dans des « attaques psychiques » dirigées contre lui. Il se rendra cependant en
Égypte, à la recherche de textes ésotériques soufis et restera au
Caire, subsistant dans des conditions très précaires jusqu'à sa rencontre avec le
cheik Mohammad Ibrahim, dont il épousera la fille, en 1934.
René Guénon vit au Caire sous le nom qui lui avait été donné lors de son initiation soufie : Abdel Wahid Yahia, adoptant le costume égyptien traditionnel, parlant Arabe et et ne fréquentant pas la communauté française d'Égypte (il sera naturalisé Égyptien en 1949). Il passe le plus clair de son temps à écrire dans sa maison du faubourg de Dukki, face aux pyramides : ses articles et ses ouvrages, tout d'abord, mais également une volumineuse correspondance avec ses lecteurs, grâce à laquelle il suit l'évolution des idées en Occident, et qui lui permet de recueillir suffisamment d'informations pour soutenir plusieurs controverses, notamment avec le directeur de la revue Atlantis, Paul Le Cour, ou encore avec deux rédacteurs de la revue antijudaïque et antimaçonnique de Monseigneur Jouin : La Revue Internationale des Sociétés Secrètes. De 1929 à 1933, Guénon écrit plusieurs comptes-rendus et articles dénonçant les tentatives de la RISS pour exhumer et tenter de faire passer pour authentique un document dévoilant les prétendus dessous secrets de la Franc-Maçonnerie (dans la lignée du Canular de Taxil).
Ces polémiques n'empêchent pas Guénon de poursuivre la rédaction de ses ouvrages, dont l'intérêt qu'ils éveillent chez Jean Paulhan permet à certains d'entre eux d'être publiés aux éditions Gallimard, dans une collection dont le nom, « Tradition », renvoie directement au lexique guénonien.
Les Fidèles
Au fil des années et des publications, un groupe de fidèles et de proches se constituera autour de René Guénon. Outre l'iconographe chrétien Louis-Charbonneau-Lassay et l'éditeur Paul Chacornac, déjà mentionnés, on peut citer le
Sri-Lankais Ananda K. Coomaraswamy (1877-1947), spécialiste de l'art bouddhique, qui entretient une correpondance régulière avec Guénon entre 1935 et 1947. C'est lui qui convainc l'auteur de
L'homme et son devenir selon le Vêdânta que le Bouddhisme est une tradition à part entière, avec sa légitimité propre, et non une hérésie de l'Hindouisme.
On y rencontre également des Européens islamisés vivant au Caire : l'Anglais Martin Lings (1909-2005), qui y enseigne la littérature anglaise à l'Université, et surtout le diplomate roumain Michel Vâlsan (1907-1974), qui deviendra de 1960 à sa mort le directeur des Études traditionnelles (succédant à un autre fidèle de la première heure : Jean Reyor, qui avait connu Guénon alors que ce dernier vivait encore à Paris).
L'artiste alsacien Frithjof Schuon (1907-1998) a lui aussi vu sa destinée bouleversée par la rencontre avec l'oeuvre de Guénon (découverte dès 1924, avec Orient et Occident), qui le pousse à se rendre en Algérie recevoir l'initiation soufie. Il devient par la suite le moqadem (représentant) du cheikh qui l'a initié, et se voit autorisé à fonder une nouvelle branche de la Tariqa (confrérie) en Europe : c'est vers elle que Guénon renverra une centaine de lecteurs (ainsi que Michel Vâlsan) qui entreront ainsi dans la voie soufie.
Les relations entre Schuon et Guénon se détérioreront suite à une controverse d'ordre doctrinal : Schuon estime en effet (et il l'écrit dans les Études traditionnelles) que les sacrements chrétiens peuvent être considérés comme des sacrements initiatiques. Guénon écrit en réponse plusieurs articles sur l'initiation, dont une partie est recueillie en volume en 1946 sous le titre Aperçus sur l'initiation. Un dernier article de Schuon dans les Études traditionnelles, en juillet 1948, consomme la rupture entre les deux hommes. Michel Vâlsan restant fidèle à Guénon, la tariqa européenne se divise alors en deux branches.
Il faut enfin citer le penseur italien Julius Evola, avec lequel Guénon entretient une correspondance cordiale et personnelle, malgré les divergences théoriques qui séparent le chantre de l'action et le défenseur de la contemplation.
Mort et survivances de René Guénon
René Guénon meurt le
7 janvier 1951, après avoir prononcé le nom d'
Allah. Il en est largement rendu compte dans la presse de la communauté francophone du Caire (une cinquantaine d'articles publiés), et dans la presse française : il en sera fait mention dans
Le Figaro,
Combat,
Rivarol, etc. La Radio nationale commente également l'événement.
Après la mort de Guénon, ses fidèles poursuivront la publication de son oeuvre (un peu plus d'une dizaine d'ouvrages posthumes - essentiellement des recueils d'articles et de comptes-rendus - verront le jour) et se consacreront à l'exégèse des différentes traditions religieuses et initiatiques, au sein des Études traditionnelles (essentiellement, à partir de 1959 et sous l'impulsion de Michel Vâlsan, à l'étude des doctrines ésoteriques de l'Islam) et ailleurs.
Les principaux ouvrages de René Guénon ont été traduits dans toutes les langues européennes et l'influence de sa pensée n'a, depuis sa disparition, cessé de s'étendre.
L'oeuvre
L'oeuvre de René Guénon, telle que la concevait son auteur, ne doit pas être comprise comme l'expression d'une pensée individuelle qui se serait construite au fil des années et des ouvrages, encore moins comme un système philosophique, mais comme une exposition des « doctrines traditionnelles », corpus de connaissances d'origine transcendante qui constituent le noyau (l'ésotérisme) des différentes religions et traditions authentiques de l'humanité. Guénon ne revendiquait à cet égard qu'une fonction de transmission de ces doctrines à destination exclusive de ceux qui, selon lui peu nombreux, sont aptes à les comprendre et à en tirer profit. Cette volonté de ne pas se voir attribuer la paternité des idées qu'il exposait allait de pair avec la volonté de conserver la plus grande discrétion sur sa vie privée qui de toute façon, ajoutait-il, ne peut aider en rien à la compréhension de ses ouvrages.
L'oeuvre de René Guénon peut être divisée en quatre grands axes :
- Les exposés de principes métaphysiques (LIntroduction Générale à l'Étude des Doctrines Hindoues, L'homme et son Devenir selon le Vêdânta, Le Symbolisme de la Croix et Les États multiples de l'être, Les Principes du Calcul infinitésimal);
- Les études sur le symbolisme (notamment les nombreux articles qu'il écrivit pour les « Études traditionnelles », plus tard compilés par Michel Vâlsan sous le titre Symboles de la Science Sacrée ; ou encore La Grande Triade);
- Les études relatives à l'initiation (L'Ésotérisme de Dante, Aperçus sur l'Initiation, Initiation et Réalisation spirituelle, etc.)
- La critique du monde moderne (Orient et Occident, La Crise du Monde moderne, Autorité spirituelle et Pouvoir temporel, Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps, etc.).
Le cloisonnement entre ces quatre axes n'est toutefois pas hermétique, Guénon rappelant que « la diversité des sujets que nous traitons dans nos études n'empêche point l'unité de la conception qui y préside et nous tenons aussi à affirmer expressément cette unité qui pourrait ne pas être aperçue de ceux qui envisagent les choses trop superficiellement. ». Cette « unité de la conception » étant garantie par le rattachement des différents points traités avec les « principes métaphysiques », qui en constituent à la fois le coeur et le sommet.
La métaphysique
Quelques précisions
Guénon insista souvent sur le fait que le mot de « métaphysique », dans le sens où il l'entendait, « n'est en rien assimilable à des conceptions scientifiques ou philosophiques », mais qu'il lui paraissait légitime de l'utiliser, parce qu'il l'employait dans son sens premier et selon lui étymologique : ce qui est « au-delà de la physique. »
Selon Guénon, la métaphysique véritable n'existe plus qu'en Orient, tandis qu'elle est en Occident « chose oubliée, ignorée en général, perdue à peu près entièrement », même s'il a pu exister, au Moyen-âge, une doctrine purement et véritablement métaphysique réservée à une élite restreinte et fermée. Il faut dire que, déjà chez Aristote, cette connaissance n'était envisagée que « d'une façon partielle et incomplète », comme « la connaissance de l'être en tant qu'être », et donc réduite à l'ontologie. Or, si cette dernière est effectivement partie intégrante de la métaphysique, elle ne saurait selon Guénon en constituer la totalité, ni même la partie principale : la métaphysique étant « véritablement et absolument illimité[e] », son domaine dépasse largement celui de l'Être, incluant également ce que Guénon propose d'appeler le « Non-Être. »
L'Être et le Non-Être
Dans les
Les États multiples de l'être, René Guénon développe les notions d'Infini (qui est désigné, sous son aspect potentiel par le terme de Possibilité universelle), de manifestation universelle (sous un aspect personnel : l'Être) et de non-manifestation (le Non-Être). Le terme de Non-Être ne doit pas être pris dans un sens privatif, comme l'indice d'un manque ou d'une absence, mais au contraire comme signifiant l'au-delà de l'Être. En effet, la manifestation universelle, c'est à dire la « Nature » au sens le plus vaste et le plus universel que l'on puisse donner à ce terme, correspond à l'expression de toutes les possibilités suceptibles d'exister, et notre propre monde n'est que l'une d'entre elles. Mais, à côté des possibilités de manifestation, il faut envisager les possibilités de non-manifestation, et « si l'on demandait cependant pourquoi toute possibilité ne doit pas se manifester, c'est-à-dire pourquoi il y a à la fois des possibilités de manifestation et de non-manifestation, il suffirait de répondre que le domaine de la manifestation, étant limité par là même qu'il est un ensemble de mondes ou d'états conditionnés [...], ne saurait épuiser la Possibilité universelle dans sa totalité : il laisse en dehors de lui tout l'inconditionné, c'est-à-dire précisément ce qui, métaphysiquement, importe le plus. »
Le Non-Être représente donc l'ensemble des « possibilités de non-manifestation, avec les possibilités de manifestation elles-mêmes en tant qu'elles sont à l'état non-manifesté ; et l'Être lui-même s'y trouve inclus, car, ne pouvant appartenir à la manifestation, puisqu'il en est le principe, il est lui-même non-manifesté. » Guénon prend comme métaphore les rapports du silence et de la parole pour illustrer son propos :
«
Comme le Non-Être, ou le non-manifesté, comprend ou enveloppe l'Être, ou le principe de la manifestation, le silence comporte en lui-même le principe de la parole ; en d'autres termes, de même que l'Unité (l'Être) n'est que le Zéro métaphysique (le Non-Être) affirmé, la parole n'est que le silence exprimé ; mais, inversement, le Zéro métaphysique, tout en étant l'Unité non-affirmée, est aussi quelque chose de plus (et même infiniment plus), et de même le silence, qui en est un aspect au sens que nous venons de préciser, n'est pas seulement la parole non-exprimée, car il faut y laisser subsister en outre ce qui est inexprimable, c'est-à-dire non susceptible de manifestation... (Les États multiples de l'être, p. 29)
»
Connaissance et réalisation
Le but ultime de la connaissance métaphysique n'est donc rien de moindre que la réalisation de cet au-delà de l'Être, « l'état absolument inconditionné, affranchi de toute limitation », que les doctrines hindoues appellent la « Délivrance ». Il s'agit bien d'une réalisation effective, et non pas seulement théorique, puisque toute connaissance véritable « implique une identification du sujet avec l'objet, ou, si l'on préfère considérer le rapport en sens inverse, une assimilation de l'objet par le sujet. »
En l'occurrence, cette connaissance ne peut s'acquérir par le biais de la raison, faculté purement humaine et individuelle qui, n'étant qu'une « connaissance par reflet », ne peut servir que de préparation théorique (mais indispensable) à la compréhension des doctrines traditionnelles dont la connaissance effective ne peut être réalisée que par le moyen de « l'intuition intellectuelle pure », que Guénon appelle aussi « l'intellect transcendant » : au contraire des facultés rationnelles de l'homme, « cet au-delà de la raison est véritablement "non-humain" », il n'est plus une « faculté individuelle » mais est véritablement « d'ordre universel ».
Tradition et transmission
L'Initiation
L'accession à cet « intellect transcendant », qui seul permet la réalisation spirituelle, est conditionnée au rattachement du postulant à une lignée initiatique traditionnelle : celles-ci sont en effet les dépositaires d'une « influence spirituelle » qu'elles transmettent à l'initié (ce qui constitue la transmission initiatique proprement dite, qui est comparable à celle qui est mise en oeuvre dans certains rites religieux, par exemple celui de l'ordination des prêtres dans la religion catholique). En l'absence d'une telle transmission, il est impossible « d'arriver à s'affanchir jamais des entraves et des limitations du monde profane. » En effet,
« [...] les aptitudes ou possibilités incluses dans la nature individuelle ne sont tout d'abord, en elles-mêmes, qu'une matiera prima, c'est-à-dire une pure potentialité, où il n'est rien de développé ou de différencié ; c'est alors l'état chaotique et ténébreux, que le symbolisme initiatique fait précisément correspondre au monde profane, et dans lequel se trouve l'être qui n'est pas encore parvenu à la seconde naissance. Pour que ce chaos puisse commencer à prendre forme et à s'organiser, il faut qu'une vibration initiale lui soit communiquée par les puissances spirituelles, que la Genèse hébraïque désigne comme les Elohim ; cette vibration, c'est le Fiat Lux qui illumine le chaos, et qui est le point de départ nécessaire de tous les développements ultérieurs ; et, au point de vue initiatique, cette illumination est précisément constituée par la transmission de l'influence spirituelle [...] (Aperçus sur l'initiation, pp. 33-34) »
Il faut donc au postulant être rattaché à une organisation authentiquement initiatique et véritablement détentrice de l'influence spirituelle, « ce qui exclut immédiatement toutes les formations pseudo-initiatiques, si nombreuses à notre époque » (par exemple, la « multitude de groupements, d'origine toute récente, qui s'intitulent "rosicruciens", sans avoir jamais eu le moindre contact avec les
Rose-Croix, bien entendu, fût-ce par quelque voie indirecte et détournée ».) Une telle organisation ne peut être constituée par la simple volonté de quelques individus : pour être véritablement « traditionnelle », elle doit en effet , au même titre que les religions, être rattachée à un principe supérieur, « non-humain » et « transcendant. » Qui plus est, à ce rattachement « vertical » s'en superpose un autre, « horizontal » et historique, qui relie l'organisation inititatique aux origines de l'humanité :
« ce à quoi s'applique le nom de tradition, c'est ce qui est en somme, dans son fond même, sinon forcément dans son expression extérieure, resté tel qu'il était à l'origine ; il s'agit donc bien là de quelque chose qui a été transmis, pourrait-on dire, d'un état antérieur de l'humanité à son état présent. (Aperçus sur l'initiation, p. 63) »
De l'initiation virtuelle à l'initiation effective
Si le fait d'être intégré dans une organisation traditionnelle constitue l'initiation proprement dite, celle-ci n'est au départ que virtuelle : c'est le travail intérieur de l'initié qui doit « permettre le développement "en acte" des possibilités auxquelles l'initiation virtuelle donne accès. » Ce travail, « effort constant d'assimilation », (qui fait de la voie initiatique une voie « active », que Guénon oppose au mysticisme, qui serait une voie purement « passive. »), et les résultats qui en découlent pour l'initié constituent « l'initiation effective » : « entrer dans la voie, c'est l'initiation virtuelle ; suivre la voie, c'est l'initiation effective. » Le travail initiatique est essentiellement constitué par la « concentration », qui doit tendre vers « l'unification de tous les éléments de l'être dans le travail intérieur, nécessaire pour que s'opère la "descente" de l'influence spirituelle au centre de cet être ». La méditation sur les symboles et la participation aux rites ont pour fonction de faciliter cette concentration et peuvent être comparés « à un cheval à l'aide duquel un homme parviendra plus vite et plus facilement au terme de son voyage, mais sans lequel il pourrait aussi y parvenir. »
Malheureusement, observe Guénon, « beaucoup restent sur le seuil », et ne parviennent jamais au moindre commencement de réalisation spirituelle. Les obstacles qui l'empêchent peuvent venir de l'organisation initiatique auquel l'individu est rattaché, « surtout dans les conditions actuelles du monde occidental » :
« par suite de la dégénérescence de certaines organisations qui, devenues uniquement spéculatives [...] ne peuvent par là même les [les initiés qui y sont rattachés] aider en aucune façon pour le travail opératif, fût-ce dans ses stades les plus élémentaires, et ne leur fournissent rien qui puisse même leur permettre de soupçonner l'existence d'une réalisation quelconque. (Aperçus sur l'initiation, p. 198) »
Mais les obstacles peuvent également venir de la personne même de l'initié, qui ne possède pas les qualifications requises pour actualiser son initiation : en effet, de même que dans le domaine des « activités profanes », « ce qui est possible à l'un ne l'est pas à l'autre, et que, par exemple, l'exercice de tel ou tel métier, exige certaines aptitudes spéciales, mentales et corporelles à la fois », il faut posséder « les aptitudes requises » pour accéder à la réalisation initiatique. Celles-ci peuvent être variables suivant les organisations initiatiques : chacune d'elles possédant sa « "technique" particulière »,
« [...] elle ne pourra naturellement admettre que ceux qui seront capables de s'y conformer et d'en retirer un bénéfice effectif, ce qui suppose, quant aux qualifications, l'application de tout un ensemble de règles spéciales, valables seulement pour l'organisation considérée, et n'excluant aucunement, pour ceux qui seront écartés par là, la possibilité de trouver ailleurs une initiation équivalente, pourvu qu'ils possèdent les qualifications générales qui sont strictement indispensables dans tous les cas. (Aperçus sur l'initiation, p. 99) »
Parmi ces qualifications générales, « la qualification essentielle, celle qui domine toutes les autres, est une question d'« horizon intellectuel » plus ou moins étendu. » Mais il en existe d'autres, qui ont également leur importance, et Guénon mentionne à ce propos la nécessité de ne pas être atteint par certaines infirmités (par exemple, le bégaiement, ou « les dissymétries notables du visage ou des membres ») qui sont « le signe extérieur de défauts correspondants dans les éléments subtils de l'être. »
Petits mystères et grands mystères
La voie initiatique telle que la décrit Guénon peut se diviser en deux grandes étapes, qui sont parfois considérées, selon lui à tort, comme deux types d'initiation différents : « l'initiation royale » et « l'initiation sacerdotale », encore appelés, par référence aux doctrines antiques, les « Petits mystères » et les « Grands mystères ». En réalité, explique Guénon, ces deux voies sont complémentaires, la première étant subordonnée à la seconde.
Les Petits mystères, auxquels appartiennent les « sciences traditionnelles » (par exemple, l'Alchimie ou l'Astrologie) ont pour but de rétablir l'individu dans « l'état primordial », l'état qui était celui de l'humanité aux origines et que Guénon, s'appuyant sur l'oeuvre de Dante, rapproche du « Paradis terrestre ». Celui qui a atteint ce stade atteint ainsi « la plénitude de l'état humain », qui est en même temps le « centre » de cet état.
Ce n'est qu'une fois parvenu à ce centre qu'il peut « communiquer directement avec les états supérieurs de l'être » et accéder ainsi aux états supra-individuels qui, seuls, « ont pour domaine la connaissance métaphysique pure » et peuvent être véritablement qualifiés de « spirituels ». À la fin de son cheminement, l'initié, libéré de toutes les contingences, réalise ce que l'ésotérisme islamiques nomme « l'Identité Suprême », qui pour Dante est « le Paradis céleste » , et qu'il devient ainsi « l'Homme Universel ».
Ésotérisme et exotérisme
L'Écorce et le noyau
Reprenant la distinction « qui existait, dans certaines écoles philosophiques de la Grèce antique, sinon dans toutes [...] entre deux aspects d'une même doctrine, l'un plus extérieur et l'autre plus extérieur », Guénon définit les domaines respectifs de l'exotérisme et de l'ésotérisme : le premier, accessible au plus grand nombre, constitue, d'après une métaphore utilisée par Ibn Arabi, l'« écorce » de la doctrine, tandis que le second en est le « noyau » et est réservé à une « élite », seule apte à en tirer véritablement profit.
Cette distinction entre ésotérisme et exotérisme, si elle se recontre dans la plupart des traditions orthodoxes, n'est pas pour autant universelle : les doctrines hindoues, par exemple les Upanishads, ne connaissent pas cette distinction, celles-ci étant purement métaphysiques (et donc ésotériques) sans que l'on puisse y déceler quoi que ce soit qui tiendrait lieu d'exotérisme. En revanche, la tradition islamique est « peut-être celle où est marquée le plus nettement la distinction de [...] l'exotérisme et de l'ésotérisme », la voie exotérique, « commune à tous », étant figurée par la shariyah, tandis que la "vérité" intérieure, réservée à l'élite (les mutaçawwuf, que l'on désigne généralement, à tort selon Guénon, sous le nom de « soufis »), est appelée haqîqah. Cet ésotérisme « n'est point quelque chose de "surajouté" à la doctrine islamique, quelque chose qui serait venu s'y adjoindre après coup et du dehors », mais « en est au contraire une partie essentielle puisque, sans lui, elle serait manifestement incomplète, et même incomplète par en haut, c'est-à-dire quant à son principe même ».
Ce coeur de la doctrine est en même temps ce qui est commun à toutes les traditions spirituelles authentiques, « le fond qui demeure toujours rigoureusement identique à lui-même », alors que l'exotérisme, qui constitue la forme « dans [laquelle] cette doctrine est en quelque sorte incorporée », est susceptible d'adaptations diverses suivant les lieux et les époques, donnant à ceux qui se tiennent à la surface des choses l'impression de se trouver face à des traditions différentes, voire antagonistes
L'ésotérisme, en tant qu'il constitue le fond de vérité commun à toutes les traditions spirituelles authentiques de l'humanité, est donc hiérarchiquement supérieur à l'exotérisme. Il ne s'ensuit pourtant pas que l'initié, qui a accès au domaine ésotérique d'une tradition donnée, puisse se dispenser de la pratique de l'exotérisme correspondant, ne serait-ce que parce que « le "plus" doit forcément comprendre le "moins" » et que c'est par l'exotérisme que l'on accède à l'ésotérisme :
« [...] là où l'exotérisme et l'ésotérisme sont liés directement dans la constitution d'une forme traditionnelle, de façon à n'être en quelque sorte que comme les deux faces extérieure et intérieure d'une seule et même chose, il est immédiatement compréhensible pour chacun qu'il faut d'abord adhérer à l'extérieur pour pouvoir ensuite pénétrer à l'intérieur, et qu'il ne saurait y avoir d'autre voie que celle-là. (Initiation et réalisation spirituelle, p. 73) »
Catholicisme et Franc-Maçonnerie
En Occident, l'exotérisme a revêtu une forme religieuse : celle du
Christianisme, et plus précisément du
Catholicisme, qui d'après Guénon est la seule organisation exotérique authentiquement traditionnelle, à l'exclusion donc du
Protestantisme. Néanmoins, les représentants de la tradition catholique lui semblent avoir perdu de vue sa signification profonde :
« il est assez douteux que le sens profond en soit encore compris effectivement, même par une élite peu nombreuse, dont l'existence se manifesterait sans doute par une action ou plutôt par une influence que, en fait, nous ne constatons nulle part. (La Crise du monde moderne, p. 115) »
Qui plus est, l'Occident a depuis longtemps rompu avec l'organisation sociale traditionnelle dont la religion catholique était la clé de voûte :
« La date précise de cette rupture est marquée dans l'histoire extérieure de l'Europe, par la conclusion des traités de Westphalie, qui mirent fin à ce qui subsistait encore de la "Chrétienté" médiévale pour y substituer une organisation purement "politique", au sens moderne et profane de ce mot. (Aperçus sur l'initiation, p. 243, note 3) »
À cet affaiblissement de « l'esprit traditionnel » dans le catholicisme, où il n'est plus conservé qu'à « l'état latent » correspond la disparition quasi-totale des organisations authentiquement initiatiques en Occident, avec d'une part, la destruction de l'Ordre du Temple, et d'autre part le départ pour l'Orient des véritables Rose-Croix. Ceux-ci étaient en réalité les initiés à l'ésotérisme chrétien qui, « d'accord avec les initiés à l'ésotérisme islamique [s'étaient réorganisés] pour maintenir, dans la mesure du possible, le lien qui avait été rompu par cette destruction. » Si l'on excepte quelques groupes très restreints et très fermés qui peuvent subsister encore, l'occidental moderne qui voudrait accéder à l'initiation, si toutefois il ne se tourne pas vers les traditions orientales, n'a pas d'autre choix que d'accéder à la seule organisation initiatique encore en activité en Occident : la Franc-maçonnerie. [image] Celle-ci est néanmoins considérée par Guénon comme étant une « dégénérescence » de la Franc-Maçonnerie originelle, qui n'était pas seulement « spéculative », mais également « opérative. » Guénon conteste en effet l'opinion selon laquelle « les Maçons "opératifs" étaient exclusivement des hommes de métier », qui peu à peu « "acceptèrent" parmi eux, à titre honorifique en quelque sorte, des personnes étrangères à l'art de bâtir», ce qui aurait marqué le passage d'une Maçonnerie opérative à une Maçonnerie spéculative. Loin d'être un progrès, explique-t-il, il s'agit d'un amoindrissement qui « consiste dans la négligence et l'oubli de tout ce qui est "réalisation", car c'est là ce qui est véritablement "opératif", pour ne plus laisser subsister qu'une vue purement théorique de l'initiation. »
Les conséquences de cet amoindrissement sont l'impossibilité pour l'initié de passer de l'initiation virtuelle à l'initiation effective :
« [...] la transmission initiatique subsiste bien toujours, puisque la "chaîne" traditionnelle n'a pas été interrompue ; mais, au lieu de la possibilité d'une initiation effective toutes les fois que quelque défaut individuel ne vient pas y faire obstacle, on n'a plus qu'une initiation virtuelle, et condamnée à demeurer telle par la force même des choses, puisque la limitation "spéculative" signifie proprement que ce stade ne peut plus être dépassé, tout ce qui va plus loin étant de l'ordre "opératif" par définition même. Cela ne veut pas dire, bien entendu, que les rites n'aient plus d'effet en pareil cas, car ils demeurent toujours, et même si ceux qui les accomplissent n'en sont plus conscients, le véhicule de l'influence spirituelle ; mais cet effet est pour ainsi dire "différé" quant à son développement "en acte", et il n'est que comme un germe auquel manquent les conditions nécessaires à son éclosion, ces conditions résidant dans le travail "opératif" par lequel seul l'initiation peut être rendue effective. (Aperçus sur l'initiation, pp. 95-196) »
Cette dégénérescence n'est toutefois pas inéluctable, puisque la « nature essentielle » de l'organisation reste la même tant que la « continuité de la transmission » initiatique est assurée : une restauration est toujours possible, « cette restauration devant alors nécessairement être conçue comme un retour à l'état "opératif". »
Le Pseudo-ésotérisme contemporain
Quoiqu'il en soit de l'état actuel de la Franc-Maçonnerie, Guénon refuse de la mettre sur le même plan que les organisations « pseudo-initiatiques » qui, n'étant rattachées à aucune « chaîne » authentique, ne sont pas même aptes à transmettre une initiation virtuelle : il en est ainsi des divers courants occultistes, de la « théosophie » anglo-saxonne contemporaine ou encore de tous les mouvements qui prétendent se rattacher au courant rosicrucien : le point commun entre toutes ces organisations est qu'elles ne bénéficient d'aucun rattachement réel à une tradition spirituelle régulière et qu'elles ont une tendance marquée au « syncrétisme », c'est-à-dire à juxtaposer de l'extérieur « des notions fragmentaires empruntées à différentes formes traditionnelles, et généralement mal comprises et plus ou moins déformées [...] mêlées à des conceptions appartenant à la philosophie et à la science profane ».
René Guénon, qui utilise aussi dans ses exposés des exemples tirés de différentes traditions (Hindouisme, Islamisme et Taoïsme principalement) tenait à bien marquer la différence fondamentale qui existe entre la « synthèse » à laquelle il se livrait, et le « syncrétisme » qu'il attribuait aux organisations « pseudo-initiatiques » :
« Tout ce qui est réellement inspiré de la connaissance traditionnelle procède toujours "de l'intérieur" et non "de l'extérieur" ; quiconque a conscience de l'unité essentielle de toutes les traditions peut, pour exposer et interpréter la doctrine, faire appel, suivant les cas, à des moyens d'expression provenant de formes traditionnelles diverses, s'il estime qu'il y a là avantage ; mais il n'y aura jamais là rien qui puisse être assimilé de près ou de loin à un syncrétisme quelconque... (Aperçus sur l'initiation, p. 47) »
Qui plus est, selon Guénon, ces organisations se proposent généralement de développer des « pouvoirs psychiques » latents chez l'homme ordinaire. Or, ces pouvoirs (dont la réalité n'est pas niée), en tant qu'ils appartiennent au domaine « psychique », restent par là-même individuels, et n'ont rien à voir avec la véritable spiritualité, qui dans son essence est supra-individuelle. Qui plus est, la recherche de ces pouvoirs n'est pas sans présenter des dangers de toutes sortes :
« [...] soit quant aux troubles psychiques et même physiologiques qui sont l'accompagnement habituel de ces sortes de choses, soit quant aux conséquences plus éloignées, encore plus graves, d'un développement désordonné de possibilités inférieures qui [...] va directement au rebours de la spiritualité. (Aperçus sur l'initiation, p. 149) »
Guénon est revenu à plusieurs reprises sur « l'expansion de ces théories diverses qui ont vu le jour depuis moins d'un siècle, et que l'on peut désigner, d'une façon générale, sous le nom de "néo-spiritualisme" », en lesquelles il voyait un symptôme inquiétant de la « crise du monde moderne ».
Le symbolisme
S'il est aujourd'hui admis en Occident que le symbole est bien plus qu'un simple code, un sens artificiellement donné, et qu'« il détient un essentiel et spontané pouvoir de retentissement », pour René Guénon ce « retentissement » dépasse immensément le domaine psychique: le symbolisme est « la langue Métaphysique par excellence », capable de mettre en relation tous les degrés de la manifestation universelle, ainsi que toutes les composantes de l'Être, et le symbolisme est le moyen dont dispose l'homme pour « assentir » à des ordres de réalité qui échappent, par leur nature même, à toute description par le langage ordinaire. Cette compréhension de la nature profonde du symbolisme, René Guénon dira que l'Orient, par son élite intellectuelle, ne l'a jamais perdue, qu'elle est inhérente à la transmission initiatique qui, selon lui, donne les véritables clés à l'homme pour lui permettre de pénétrer le sens profond des symboles: de ce point de vue, la méditation sur des symboles (visuels ou sonores, yantras, mantras ou dhikr, répétition des Noms Divins) fait partie intégrante de l'initiation et du processus de réalisation spirituelle.
Symbolisme et analogie
[image] Pour René Guénon l'art est avant toute chose connaissance et compréhension, plutôt qu'affaire de sensibilité. De même, le symbolisme possède une indéfinité conceptuelle qui n'est « point exclusive d'une rigueur toute mathématique »: le symbolisme est avant tout une science, et il est fondé, de la façon la plus générale sur « les correspondances qui existent entre les différents ordres de réalité ». Et, en particulier, l'analogie elle même, entendue suivant la formule
hermétique du « rapport de ce qui est en bas avec ce qui est en haut », est susceptible d'être symbolisée: il existe des symboles de l'analogie (mais tout symbole n'est pas nécessairement l'expression d'une analogie, car il y a des correspondances qui ne sont pas analogiques). Le rapport analogique implique essentiellement la considération du « sens inverse de ses deux termes », et les symboles de l'analogie, qui sont généralement construits sur la considération primitive de la roue à six rayons, apppelée
Chrisme dans l'iconographie chrétienne, inscrivent clairement, selon René Guénon, la considération de ce « sens inverse »: dans le symbole du « sceau de Salomon » les deux triangles opposés représentent deux ternaires dont l'un est « comme le reflet ou l'image inversée de l'autre » et « c'est en cela que ce symbole est une figuration exacte de l'analogie ». Cette considération du « sens inverse » permet à René Guénon de proposer une explication à certaines figurations artistiques, telle celle rapportée par
Ananda Coomaraswamy dans son étude
The inverted tree: certaines images de l'« Arbre du Monde », un symbole de la Manifestation universelle, le représentent avec les racines en haut et les branches en bas: les positions correspondantes de l'arbre correspondent à deux points de vue complémentaires suivant lesquels on peut se placer: celui de la manifestation ou celui du Principe. Cette considération du « sens inverse » est l'un des éléments de cette « science du symbolisme » à laquelle se réfère René Guénon, et elle va être utilisée par lui en de nombreuses occasions. Ainsi par exemple, dans son ouvrage
La Grande Triade, consacré principalement à l'explication de certains symboles de la
tradition extrême-orientale, les symboles généraux du «
Ciel » et de la «
Terre » sont mis en relation, du point de vue du développement cyclique, avec la
sphère et le
cube, avec pour point de rencontre la «
ligne d'horizon », car c'est « à leur périphérie, ou à leurs confins les plus éloignés, c'est à dire l'horizon, que le Ciel et la Terre se joignent suivant les apparences sensibles »; la considération du « sens inverse » apparaît ici dans la réalité symbolisée par ces apparences car, « suivant cette réalité, ils s'unissent au contraire par le centre ». De là vient, selon René Guénon, l'explication du symbolisme de la « face ventrale » que le Ciel présente au « Cosmos », et la Terre présente une face « dorsale »: ce symbolisme explique ainsi la forme des monnaies chinoises, qui sont percées en leur centre par un carré. De même, parmi les symboles de l
Anima Mundi, l'un des plus usuels est le serpent, qui est souvent figuré sous la forme circulaire de l' Ouroboros: « cette forme convient en effet au principe animique en tant qu'il est du côté de l'essence par rapport au monde corporel; mais [...] il est au contraire du côté de la substance par rapport au monde spirituel, de sorte que, suivant le point de vue où on l'envisage, il peut prendre les attributs de l'essence ou ceux de la substance, ce qui lui donne pour ainsi dire l'apparence d'une double nature ». [image] Symbolisme et unité des formes traditionnelles
L'importance du symbolisme dans les ouvrages de René Guénon provient de ce que le symbolisme étant, selon ses propres mots, la « langue métaphysique par excellence », il est peut être utilisé pour mettre en relation des concepts ayant des formulations distinctes dans des traditions différentes. Le symbolisme est ainsi utilisé par René Guénon dans « "
La Grande Triade" » pour relier l' « opération du Saint-Esprit », dans la génération du
Christ, à l'activité « non-agissante » de
Purusha ou du « Ciel », et
Prakriti à la
Substance Universelle et à la
Vierge, le Christ devenant ainsi identique, selon ce symbolisme à l'«
Homme Universel ». Son livre
Le Symbolisme de la Croix met également en relation le symbole de la Croix avec les données de l'ésotérisme islamique.
Symbolisme et tradition primordiale
En Orient, écrivait René Guénon, le symbolisme est avant tout une connaissance: il va donc consacrer un nombre important d'articles à une exposition traditionnelle des symboles. La plupart de ces articles ont été réunis par Michel Vâlsan dans l'ouvrage posthume «
Symboles Fondamentaux de la Science Sacrée », qui propose, en une synthèse remarquable, des clés permettant d'interpréter un nombre considérable de symboles, en particulier préhistoriques: les symboles du
Centre du Monde, les
bétyles, les symboles axiaux, du coeur, de la manifestation cyclique etc. Pour René Guénon, l'existence de symboles identiques à différentes formes traditionnelles, éloignées dans le temps ou l'espace, serait un un indice sur une origine historique remontant à la « tradition primordiale ».
Symboles, mythes et rites
Dans les
Aperçus sur l'initiation, René Guénon va d'autre part proposer des relations entre le
rite et le
symbole « qui sont, l'un et l'autre, des éléments essentiels de toute initiation ».
La distinction qu'on a voulu parfois établir entre « mythes » et « symboles » serait infondée en réalité: les deux sont essentiellement basés sur les rapports, analogiques ou autres entre une idée qu'il s'agit d'exprimer et sa représentation, qu'elle soit graphique, sonore ou autre: « "une réalité d'un certain ordre peut être représentée par une réalité d'un autre ordre, et celle-ci est alors un symbole de celle-là ». Cela le conduit à préciser la signification du mot « mythes »: en grec ancien, muthos, « mythe » vient de la racine mu et celle-ci représente la bouche fermée, et donc le silence; muein veut dire fermer la bouche, se taire, et, par extension, fermer les yeux. De l'infinitif muein dérive muô, puis muaô, mueô et mullô, murmurer; or mueô signifiait également initier aux « mystères », et ce dernier mot provenait aussi également de la même racine. Selon René Guénon, cette idée de « silence » doit être rapportée aux choses qui, en raison de leur nature même, sont inexprimables en langage ordinaire; et c'est là, toujours selon lui, que se retrouve cette idée essentielle du symbolisme: faire assentir ce qui est inexprimable, ce qui serait « précisemment la destination première des mythes ».
La critique du monde moderne
L'Origine de la « déviation » moderne
Selon Guénon, l'Occident moderne est une « prodigieuse anomalie » au regard des autres civilisations, passées et présentes (en Orient), en ce qu'il se caractérise essentiellement par l'oubli (ou le rejet) de sa tradition, autrement dit des principes qui doivent normalement organiser toute société suivant une hiérarchie précise et invariable, dont les
castes hindoues fournissent un modèle clair :
- Au sommet de la hiérarchie sociale, les Brâhmanes (la caste sacerdotale), représentant « l'intellectualité pure », à laquelle tous les autres domaines doivent être subordonnés.
- Les Kshatriyas (la caste des rois et des guerriers), représentant l'action, sont les garants de la protection de l'autorité spirituelle qui, en retour, fonde la légitimité de leur pouvoir et à laquelle ils doivent être subordonnés.
Guénon s'est moins intéressé aux deux dernières castes (les Vaisyas et les Sudras), puisque c'est selon lui dans la « révolte des Kshatriyas », autrement dit dans la volonté du pouvoir temporel de s'affranchir de la tutelle de l'autorité spirituelle que réside l'origine de la « déviation » moderne. À partir du moment où ce lien de subordination fut rompu en Occident, celui-ci perdit de plus en plus son caractère traditionnel, jusqu'à en arriver à cette « anomalie » que Guénon ne cessa de dénoncer.
Caractéristiques de « l'anomalie » occidentale
La rupture du lien de dépendance avec l'autorité spirituelle a pour corollaire la rupture avec les principes transcendants dont celle-ci était la garante : la société occidentale ainsi privée de principes véritables est donc dans la situation d'un « organisme décapité qui continuerait à vivre d'une vie à la fois intense et désordonnée ».
Ce corps sans tête, qui a perdu tout principe directeur, est caractérisé avant tout par son « besoin d'agitation incessante » :
« [...] besoin d'agitation incessante, de changement continuel, de vitesse sans cesse croissante comme celle avec laquelle se déroulent les évènements eux-mêmes. C'est la dispersion dans la multiplicité, et dans une multiplicité qui n'est plus unifiée par la conscience d'aucun principe supérieur [...] (La Crise du monde moderne, Gallimard, « Folio », p. 71 ) »
Qui plus est, ayant oublié ce qu'est l'intellectualité véritable, l'Occident en est venu à priviégier uniquement le progrès matériel, qu'il considère à tort comme le signe de la supériorité de la société occidentale : « développement matériel et intellectualité pure sont vraiment en sens inverse ; qui s'enfonce dans l'un s'éloigne nécessairement de l'autre ». Le domaine intellectuel étant considéré comme le domaine supérieur et le domaine matériel comme le domaine inférieur, il s'ensuit que le « progrès » occidental est en réalité une « déchéance », et que la prétention de l'Occident à imposer sa domination sur le reste du monde, au nom de cette illusoire supériorité, est aussi absurde qu'injustifiée.
Enfin, l'Occident moderne est individualiste et démocratique. Par individualisme, il faut entendre « la négation de tout principe supérieur à l'individu et, par suite, la réduction de la civilisation, dans tous les domaines, aux seuls éléments purement humains », ce qui conduit à « la négation de l'intuition intellectuelle, en tant que celle-ci est essentiellement une faculté supra-individuelle ».
L'individualisme impliquant « nécessairement [le] refus d'admettre une autorité supérieure à l'individu », l'Occident en est venu naturellement à ériger l'idée de l'égalité entre les individus en principe, ou plutôt en « pseudo-principe », à partir duquel il a fondé la légitimité démocratique, qui selon Guénon est un leurre pour deux raisons. D'une part parce que « le supérieur ne peut émaner de l'inférieur », que « le pouvoir véritable ne peut venir que d'en haut, et c'est pourquoi [...] il ne peut être légitimé que par la sanction de quelque chose de supérieur à l'ordre social, c'est-à-dire d'une autorité spirituelle. » D'autre part parce que la notion d'un peuple se gouvernant lui-même est une impossibilité logique : « il est contradictoire d'admettre que les mêmes hommes puissent être à la fois gouvernants et gouvernés. »
Ainsi, l'idée selon laquelle le peuple se gouvernerait lui-même ne peut être qu'une illusion que les dirigeants parviennent à lui faire admettre que parce « qu'il en est flatté et que d'ailleurs il est incapable de réfléchir assez pour voir ce qu'il y a là d'impossible ».
La Contre-initiation et le Kali-Yuga
Ces dirigeants qui impriment leur marque au développement de l'Occident moderne ne sont pas seulement ceux qui se présentent comme tels, et qui sont généralement inconscients de la portée antitraditionnelle de leur action : il en est d'autres, qui agissent dans l'ombre, tout en sachant très bien que la voie dans laquelle est engagé l'Occident (et dans laquelle ils le poussent à persévérer) ne peut que le mener à la catastrophe et à la ruine. Guénon appelle ces individus les émissaires de la « contre-initiation » : véritables agents au service des forces du mal (personnifié en Occident dans la figure
Satan, auquel est attribué une existence réelle et pas simplement symbolique), ces hommes et ces femmes oeuvrent dans le but de remplacer la spiritualité authentique par sa parodie et de préparer l'avènement de celui que les Chrétiens et les Musulmans nomment l'
Antéchrist. Ce sont eux les responsables et les instigateurs véritables de la déviation occidentale.
[image] La victoire finale de la contre-initiation est à la fois inéluctable et illusoire. Elle est inéluctable car elle est inscrite dans le mouvement même de l'histoire : reprenant le vocabulaire de la conception cyclique de l'histoire des doctrines hindoues (où un cycle historique est appelé Manvantara), Guénon affirme que nous sommes parvenus au dernier des quatre âges de l'humanité actuelle : le
Kali Yuga. Au cours de cette période, explique-t-il :
« [...] les vérités qui étaient autrefois accessibles à tous les hommes sont devenues de plus en plus cachées et difficiles à atteindre ; ceux qui les possèdent sont de moins en moins nombreux, et, si le trésor de la sagesse "non-humaine", antérieure à tous les âges, ne peut jamais se perdre, il s'enveloppe de voiles de plus en plus impénétrables, qui le dissimulent aux regards et sous lesquels il est extrêmement difficile de le découvrir. (La Crise du monde moderne, pp. 21-22) »
Cette déchéance progressive de l'humanité, qui s'oppose radicalement à toute notion de progrès historique, est la conséquence nécessaire de « [l]'éloignement de plus en plus grand du principe dont elle procède ». En effet,
« [...] partant du point le plus haut, elle tend forcément vers le bas, et, comme les corps pesants, elle y tend avec une vitesse croissante sans cesse croissante, jusqu'à ce qu'elle rencontre enfin un point d'arrêt. (La Crise du monde moderne, pp. 21-22) »
Ce mouvement descendant, s'il n'est pas linéaire (il existe également un mouvement inverse qui tend vers un retour au principe), n'en est pas moins inéluctable, et son aboutissement marquera la victoire de la contre-initiation, ou de la « spiritualité à rebours. »
Mais cette victoire de la contre-initiation sera à ce point éphémère qu'elle peut à bon droit être qualifiée d'illusoire : en effet, la catastrophe finale, marquant le point d'arrêt de la chute de l'humanité, marquera également, dans le même temps, la réintégration intégrale et instantanée de l'humanité dans son « état primordial », c'est-à-dire la restauration d'un nouvel « Âge d'Or », et la défaite complète des forces de la contre-initiation.
C'est dans le but de contribuer à freiner cette irrémédiable chute, en prévenant ses contemporains des dangers qui les guettent, que Guénon affirme avoir écrit son oeuvre. Et quand bien même il serait trop tard pour l'éviter, le destin de l'humanité la conduisant nécessairement à la catastrophe finale,
« [...] le travail accompli dans cette intention ne serait pas inutile, car il servirait en tout cas à préparer, si lointainement que ce soit, cette "discrimination" dont nous parlions au début, et à assurer ainsi la conservation des éléments qui devront échapper au naufrage du monde actuel pour devenir les germes du monde futur. (La Crise du monde moderne, pp. 60-61) »
La Réception de l'oeuvre de René Guénon
Continuateurs et exégètes
La « Boussole infaillible » et la « cuirasse impénétrable »
René Guénon avait écrit dans
Orient et Occident, que la doctrine traditionnelle pouvait être qualifiée de « boussole infaillible » et de « cuirasse impénétrable ». Il ne faudra guère attendre longtemps après sa mort pour que ces qualificatifs soient repris et associés à son oeuvre : c'est ainsi que dès la parution du numéro spécial des
Études traditionnelles paru en novembre 1951 à l'occasion de la mort de Guénon, Michel Vâlsan devait conclure son article initulé « La fonction de René Guénon et le sort de l'Occident. » Dans celui-ci, il donnait une signification providentielle à l'existence de l'auteur du
Roi du monde :
« Les matrices de la Sagesse avaient prédisposé et formé son entité selon une économie précise et sa carrière s'accomplit dans le temps par une corrélation constante entre ses possibilités et les conditions cycliques extérieures. »
Devenu à partir de 1960 directeur des
Études traditionnelles, Michel Vâlsan contribuera à développer et à fixer cette image providentielle de René Guénon, parallèlement à la publication d'articles consacrés essentiellement à l'approfondissement des doctrines soufies telles qu'elles sont présentées dans l'oeuvre d'Ibn Arabî. Il en viendra à considérer comme une atteinte à l'intégrité de l'oeuvre guénonienne toute approche critique universitaire, invitant les chercheurs à travailler
à partir de l'oeuvre plutôt que
sur l'oeuvre.
Cette direction que Vâlsan avait imprimé à la réception de l'oeuvre guénonienne sera reprise et accentuée par Charles-André Gillis qui, en tête de son Introduction à l'enseignement et au mystère de René Guénon placera cet avertissement :
« L'enseignement de René Guénon est l'expression particulière, révélée à l'Occident contemporain, d'une doctrine métaphysique et initiatique qui est celle de la Vérité unique et universelle. Il est inséparable d'une fonction sacrée, d'origine supra-individuelle, que Michel Vâlsan a définie comme un "rappel suprême" des vérités détenues, de nos jours encore, par l'Orient immuable, et comme une "convocation" ultime comportant, pour le monde occidental, un avertissement et une promesse ainsi que l'annonce de son "jugement". »
Dans ces conditions, toute approche « profane » de l'oeuvre devient suspecte, notamment celle qui rechercherait des sources historiques pour expliquer l'oeuvre :
« [...] une méthode dont les limites sont connues de tous pour l'interprétation des textes littéraires est utilisée, sans discernement mais non sans arrière-pensée, pour rendre compte d'écrits dont l'inspiration est essentiellement autre. »
La « même volonté d'unifier vie et oeuvre dans une geste sacrée », pour reprendre une expression de Jean-Pierre Laurant, est manifeste dans les écrits de Jean Robin, notamment dans René Guénon témoin de la Tradition, dans lequel sont assignés une fonction magique aux différents pseudonymes sous lesquels écrivit René Guénon, en rapport avec la doctrine tibétaine des Tulkous. On peut citer également Muhammad Vâlsan, qui met en correspondance les prénoms de Jean-Marie René Joseph Guénon avec l'acronyme christique INRI.
Les Catholiques guénoniens
Mircea Eliade faisait observer que la plupart des « adeptes » de l'oeuvre de Guénon « sont des convertis à l'Islamisme ou se livrent à l'étude de la tradition indo-tibétaine. » Ils ont été moins nombreux en revanche à tenter de concilier l'étude de l'oeuvre guénonienne et la pratique du Christianisme, notamment en raison des réserves importantes exprimées par les milieux catholiques sur cette oeuvre, déjà du vivant de Guénon (Jacques Maritain qui écrivit que « l'hyperintellectualisation ésotérique [de la Connaissance] n'est qu'un spécieux mirage [qui] mène la raison à l'absurde, l'âme à la seconde mort »), mais également après sa mort, qu'il s'agisse des catholiques « intégristes » ou progressistes.
Quelques tentatives ont été faites pourtant, à l'intérieur même de l'Église catholique, pour concilier le Christianisme et la « doctrine traditionnelle » : on peut citer notamment un ouvrage intitulé Doctrine de la non-dualité (Advaita-vada) et Christianisme et publié en 1982 « avec la permission des supérieurs » par un « moine d'Occident » anonyme, qui représente une tentative de conciliation entre le Vêdânta (en reprenant les analyses de L'homme et son devenir selon le Vêdânta, publié par Guénon en 1925) et la théologie chrétienne.
Mais l'on retiendra surtout les travaux de l'abbé Henri Stéphane qui, ayant découvert les ouvrages de Guénon semble-t-il en 1942, écrivit de nombreux textes recueillis en deux volumes publiés sous le titre très guénonien de : Aperçus sur l'ésotérisme chrétien.
Le cas de l'abbé Stéphane reste néanmoins isolé, comme le fut celui-ci, qui n'exerça officiellement aucun ministère, si ce n'est, après le Concile Vatican II, mais « de façon presque clandestine », à destination d'un « groupe de chrétiens soucieux de conserver la tradition latine dans l'Église [qui] avait demandé à l'abbé de dire chaque semaine une messe du rite ancien et de prononcer l'homélie ».
Un Guénonien critique : Frithjof Schuon
Le même numéro spécial des
Études traditionnelles dans lequel Michel vâlsan analysait la fonction providentielle de l'oeuvre de René Guénon accueillait une autre contribution, beaucoup plus nuancée dans l'éloge : celle de Frithjof Schuon. Cet article, initulé « L'Esprit d'une oeuvre », commençait par rappeler le caractère « universel » et surtout « traditionnel » de cette oeuvre « en ce sens que les données fondamentales qu’elle transmet sont strictement conformes à l'enseignement des grandes traditions, ou de l'une d’elles quand il s'agit d'une forme particulière. » Néanmoins, il tenait à marquer ses distances avec la position défendue par Michel Vâlsan : « l'unicité » de l'oeuvre guénonienne ne saurait être tenue pour « prophétique. » De plus,
« c'est dans l'énonciation des principes que son génie intellectuel s'exerce avec une maîtrise incontestable; mais qu’on admette sans réserve tous les exemples et toutes les déductions que l'auteur nous propose au cours de ses nombreux écrits, cela nous paraît être une question d’opinion, voire de foi, d'autant plus que la connaissance des faits dépend de contingences qui ne sauraient intervenir dans la connaissance principielle (Études traditionnelles, numéro spécial René Guénon, 1951, p. 256) »
De fait, Frithjof Schuon relèvera par la suite dans l'oeuvre de Guénon plusieurs points de détails qui lui semblent erronnés, qu'il s'agisse de l'affirmation selon laquelle l'Hindousime n'est pas une religion, de la définition guénonienne des modalités de l'existence corporelle, ou encore de sa présentation de la doctrine hindoue des « cycles cosmiques. » Plus fondamentalement, sur plusieurs points doctrinaux importants, Frithjof Schuon s'est écarté des analyses guénoniennes, affirmant que les rites chrétiens possédaient un caractère indubitablement initiatique, ou encore que l'initiation soufie n'était pas incompatible avec l'appartenance à une religion autre que l'Islam : une telle interprétation, observe Jean-Pierre Laurant, « ruin[e] l'édifice guénonien bâti sur la séparation stricte de l'ésotérisme et de l'exotérisme ».
Enfin, une « Note » consacrée à René Guénon, parue dans le « Cahier de l'Herne », précise la position de Schuon vis-à-vis de l'individualité de l'auteur des États multiples de l'Être : Guénon aurait selon lui été un « "pneumatique" du type "gnostique" », autrement dit qu'il serait né « avec un état de connaissance qui, pour d'autres, serait précisément le but et non le point de départ ». C'est ainsi que Guénon, « personnification, non de la spiritualité tout court, mais de la seule certitude intellectuelle », aurait été conduit, « en partie [en raison de] traumatismes, renforcés par l'absence de facteurs compensatoires dans l'âme et dans l'ambiance », à sous-estimer « et les valeurs esthétiques et les valeurs morales, surtout sous le rapport de leurs fonctions spirituelles. »
René Guénon est considéré comme une figure fondamentale du Pérennialisme au XXe siècle ; d'autres chercheurs ont cependant mis en question la validité de cette désignation de "pérennialisme", et les multiples sens qu'elle recouvre: "perennialist school" (le terme introduit par M. Sedgewick, "Philosophia perennis" (terme qui provient de la Renaissance), "Religio perennis" (terme provenant de Schuon et désignant la "religion du coeur"), "traditionnalisme" (une réaction décrite comme purement moderne par R. Guénon) et "political perenialism".
Universitaires
À plusieurs reprises dans ses ouvrages, René Guénon a raillé les prétentions de l'Occident moderne à posséder un ensemble de sciences qui le mettrait à l'avant-garde de la connaissance du monde : ces sciences « profanes », affirme l'auteur de
La Crise du monde moderne, ne sont que les « résidus » des sciences sacrées dont le sens s'est perdu, résidus incapables de faire accéder celui qui les étudie à quelque certitude que ce soit concernant le monde qui l'entoure. La totalité du savoir enseigné dans les universités, depuis la philosophie jusqu'à la sociologie, en passant par l'histoire, la géographie, l'ethnologie ou encore la psychologie est ainsi disqualifiée au profit des « savoirs traditionnels », seuls aptes à transmettre la connaissance véritable.
Ces critiques radicales n'empêcheront pas les universitaires de s'occuper de l'oeuvre et de la démarche de Guénon, de manière plus ou moins critique.
Umberto Eco
Selon le philosophe
Umberto Eco, Guénon est un des principaux représentants de la pensée hermétique contemporaine, dont il critique la méthode argumentative fondée sur l'analogie et la ressemblance plutôt que sur le discernement de la rationalité occidentale (avec les principes de non-contradiction et de tiers exclu). Il explique son propos dans
Les limites de l'interprétation :
« Presque toutes les caractéristiques de la pensée hermétique sont réunies dans les procédés d'argumentation d'un de ses épigones contemporains: René Guénon »
Eco appuie son propos par une étude critique de
Le roi du Monde, un ouvrage de Guénon qu'il étudie selon l'approche de la
Sémiotique et dans lequel il relève en particulier l'usage très fréquent, et selon lui abusif, d'affirmations sans sources, de « on dit », d'
étymologies présumées souvent fondées sur de simples proximités
phonétiques et d'
analogies vagues qui forment au final un discours visant davantage à conforter le lecteur dans ses convictions qu'à démontrer rationnellement ses affirmations:
« En somme, Guénon suggère un système, mais un système qui n'autorise aucune exclusion [...] à travers un entrelacs d'associations, certaines fondées sur la similitude phonétique, d'autres sur une étymologie présumée, en un relais incessant entre synonymies, homonymies et polysémies, en un continuel glissement de sens où toute nouvelle association délaisse ce qui l'a provoquée pour pointer vers de nouveaux rivages, et où la pensée coupe en permanence les ponts derrière elle. »
Par ailleurs Selon Eco, René Guénon fait preuve d'« un mépris souverain pour tout critère historique et philologique ». Ces analyses d'Umberto Eco ont été contestées par l'auteur guénonien Patrick Geay qui, dans sa thèse de doctorat publiée sous le titre de Hermès Trahi (1996), reproche au sémioticien italien d'avoir manqué de rigueur dans sa démarche et de prudence dans ses conclusions.
Mircea Eliade
En revanche, l'historien des religions
Mircea Eliade s'est montré plutôt réceptif aux thèses guénoniennes, considérant « que cette doctrine est considérablement plus rigoureuse et valable que celle des occultistes et hermétiques des
XIXe siècle et
XXe siècle. » Il remarque par ailleurs l'antithèse radicale et paradoxale à laquelle l'historien des religions est confronté, entre, d'un côté :
«
une explosion d'occultisme, sorte de religion "pop" caractéristique surtout de la contre-culture de la jeunesse américaine, qui proclame le grand renouveau consécutif à l'âge du Verseau
»
et de l'autre :
«
la découverte et [l]'acceptation de l'ésotérisme traditionnel, tel que l'a reformulé René Guénon par exemple, un ésotérisme qui rejette l'espoir optimiste d'un renouveau cosmique et historique sans la préalable désagrégation catastrophique du monde moderne (Mircea Eliade, Occultisme, Sorcellerie et Modes culturelles, cité dans le « Cahier de l'Herne » consacré à René Guénon, p. 240)
»
Cette dernière tendance étant encore modeste mais « progressivement croissante ».
Il est à noter que Mircea Eliade a été en contact avec Guénon, à qui il envoya un exemplaire de son ouvrage Techniques du yoga. Guénon écrivit à cette occasion qu'Eliade était « en réalité beaucoup plus près des idées traditionnelles que ses écrits n'en donnent parfois l'impression », mais que son « grand défaut » était « de ne pas oser se mettre trop nettement en opposition avec les idées officiellement admises ».
Artistes et écrivains
L'oeuvre atypique de René Guénon, développement polysémique d'une pensée critique du monde moderne, a marqué plusieurs artistes et écrivains, qu'ils aient été en guerre contre leur époque et les valeurs de l'Occident, ou bien attirés par une exposition de la spiritualité distincte de la morale chrétienne en même temps qu'opposée à toutes les formes d'occultisme en vogue au début du
XXe siècle : on ne s'étonnera pas d'y retrouver plusieurs auteurs qui ont participé, ou ont été des « compagnons de route », du mouvement
surréaliste.
Albert Gleizes
René Guénon fréquenta dans les années 1920 le salon parisien qu'
Albert Gleizes tenait avec sa femme, et suivit avec sympathie les tentatives du peintre
cubiste de retrouver la « tradition dans le métier » et commenta avec bienveillance les essais théoriques de ce dernier, qui tentaient de concilier les approches artistiques de l'avant-garde avec l'art sacré en se libérant des contraintes perspectivistes et mimétiques héritées de la Renaissance.
Il se montra toutefois plus réservé dans sa correspondance privée, estimant que les travaux de Gleizes, s'ils étaient plein de bonnes idées, restaient désordonnés. Il semble en effet que Gleizes, au moment où il rencontre Guénon, a déjà achevé sa formation intellectuelle (il a quarante-six ans en 1927) et que si ses théories concernant l'art et l'artisanat rejoignent souvent celles défendues par René Guénon, il n'en reste pas moins que cet accord s'est fait en suivant « des voies radicalement différentes », bien que dans une certaine mesure parallèles.
André Breton
André Breton a manifesté à plusieurs reprises l'intérêt que lui inspirait l'oeuvre de René Guénon, en particulier
Les États multiples de l'Être, dont un long passage est cité à la fin du texte
Du Surréalisme en ses oeuvres vives, daté de 1953.. La même année, dans un article intitulé « René Guénon jugé par le surréalisme », l'auteur d
Arcane 17 précisait la position du mouvement à l'égard de l'auteur de La Crise du monde moderne : «
Sollicitant toujours l'esprit, jamais le coeur, René Guénon emporte notre très grande déférence et rien d'autre. Le surréalisme, tout en s'associant à ce qu'il y a d'essentiel dans sa critique du monde moderne, en faisant fond comme lui sur l'intuition supra-rationnelle (retrouvée par d'autres voies), voire en subissant fortement l'attrait de cette pensée dite traditionnelle que, de main de maitre, il a débarrassée de ses parasites, s'écarte autant du réactionnaire qu'il fut sur le plan social que de l'aveugle contempteur de Freud, par exemple, qu'il se montra. Il n'en honore pas moins le grand aventurier solitaire qui repoussa la foi par la connaissance, opposa la délivrance au SALUT et dégagea la métaphysique des ruines de la religion qui la recouvraient.
»
En revanche, dans les quelques occasions où il s'exprima sur le sujet, Guénon devait fermement condamner l'entreprise surréaliste basée sur une forme d'intuition qui, faisant largement appel aux théories alors récentes de la Psychanalyse, ne pouvait que s'appuyer sur « le domaine psychique inférieur », c'est-à-dire sur « ce qu'il y a de plus éloigné de toute spiritualité. »
Aussi Guénon jugea-t-il que les surréalistes étaient partie-prenante du plan général de subversion de l'authentique spiritualité traditionnelle, autrement dit qu'ils étaient « des agents d'exécution du plan luciférien. » Même si, à ses yeux, ils constituaient avant tout un « petit groupe de jeunes gens qui s'amusent à des facéties d'un goût douteux ».
Antonin Artaud
Guénon se montra toutefois plus réceptif aux thèses exposées par
Antonin Artaud sur le théâtre oriental et sur la distance qui le sépare du théâtre occidental. Rendant-compte d'un article publié dans la NRF sous le titre « La mise en scène et la métaphysique », dans lequel il était d'ailleurs cité Guénon, bien que déplorant que les propos d'Artaud soient parfois confus, y voit « en quelque sorte comme une illustration de ce [que lui-même disait] sur la dégénerescence qui a fait du théâtre occidental quelque chose de purement "profane", tandis que le théâtre oriental a toujours conservé sa valeur spirituelle. »
S'il faisait « grand cas des ouvrages de René Guénon », « Orient et Occident et Les États multiples de l'Être [ayant] plus particulièrement attiré son attention », il est difficile de savoir précisément quel impact a eu cette oeuvre dans le cheminement d'Antonin Artaud, qui expliquera quelques années plus tard avoir voulu « fuir la civilisation européenne, issue de sept à huit siècles de culture bourgeoise » afin de se rendre au Mexique, « le seul endroit de la terre qui nous propose une vie occulte, et la propose à la surface de la vie ».
René Daumal
Le poète
René Daumal, que sa quête spirituelle amena à apprendre le
Sanskrit et à traduire des textes sacrés hindous, ne pouvait passer à côté de l'oeuvre de René Guénon : non seulement ils partagent un même intérêt pour la métaphysique orientale, mais on trouve dans les essais de Daumal un vocabulaire proche de celui utilisé par Guénon (l'adjectif « traditionnel » est ainsi utilisé dans un sens proche, sinon identique, par l'un et l'autre. On s'étonne même de ne pas trouver chez le premier des références plus nombreuses aux travaux du second.
Le poète du Grand Jeu écrivit tout de même un article en forme d'hommage en 1928 (« Encore sur les livres de René Guénon »), dans lequel sont précisés les points de convergence et les limites de son adhésion. Après avoir constaté que « les mains occidentales changent l'or en plomb », et qu'entre ces mains la métaphysique hindoue « s'émiette [...] en curiosités de mythologie et d'exotisme, en recherches bien consolantes de paradis précis, en conseils salutaires que ne désavouerait pas un clergyman... », Daumal loue en Guénon celui qui « ne trahit jamais la pensée hindoue au profit de besoins particuliers de la philosophie occidentale » :
« S'il parle du Véda, il pense le Véda, il est le Véda. »
Cette justice rendue à la « pensée hindoue » a toutefois selon Daumal comme corrolaire l'incompréhension de la philosophie occidentale :
« Ce qu'il y a de plus profond dans des penseurs d'Europe comme Spinoza, Hegel ou les post-kantiens allemands, lui échappe tout à fait. »
Cette incompréhension, néanmoins, est dans le fond de peu d'importance, Daumal avouant préférer voir Guénon « garder cette dure loi, palpable dans le ton de ses phrases, qui le défend de tout compromis ». Là où en revanche l'auteur du Mont Analogue se détache du métaphysicien, c'est dans le refus de ce dernier de se mêler aux luttes de son époque contre l'ordre établi et dans son choix de se placer exclusivement sur le plan des principes doctrinaux :
« René Guénon, je ne sais rien de votre vie proprement humaine ; je sais seulement que vous espérez peu convaincre des multitudes. Mais je crains que le bonheur de penser ne vous détourne de cette loi - historique au sens le plus large - qui pousse nécessairement ce qu'il y a d'homme en nous vers la révolte ; révolte que nous considérons non comme une tâche que nous sommes chargés d'exécuter, mais comme une oeuvre que nous laissons s'accomplir par le moyen des enveloppes humaines qu'abusivement nous nommons "nôtres". »
Raymond Queneau
Raymond Queneau fut un lecteur attentif et assidu de l'oeuvre de René Guénon, qu'il découvre avec étonnement dès la parution de l
Introduction générale à l'étude des doctrines hindoues, en 1921. À partir de cette date et jusqu'à la fin des années 1920, Queneau se procure les ouvrages de Guénon dès leur parution, et n'omet pas de lire les articles publiés dans la revue Le Voile d'Isis, se disant qu'il devrait chercher à faire la connaissance de leur auteur, et échangera même une brève correspondance avec lui en 1936.Cette influence de la pensée « traditionnelle », telle que l'expose Guénon, sur l'oeuvre de Raymond Queneau, est nettement perceptible dans un curieux essai inachevé écrit vers 1936-1937, et qui ne sera publié qu'à titre posthume en 1993 : Le Petit traité des vertus démocratiques, dans lequel est proposé « un autre monde, une autre civilisation », dont la fin dernière est « la Paix sur terre - et ailleurs - pour tous les Hommes de bonne Volonté et tout homme sera de bonne volonté. » Cette société, qui aurait pris acte de la « trahison » de la social-démocratie, qui se défierait du Fascisme comme du Communisme, sans pour autant verser dans l'anarchisme, devra aller voir du côté de l'Orient ou de l'Occident médiéval, dont il décrit ainsi la « démocratie » : « égalité de tous les hommes devant Dieu, liberté de la Grâce ; fraternité : société basée sur l'amour. Discipline, hiérarchie, rigueur. »
L'évolution personnelle et intellectuelle de Raymond Queneau lui fera abandonner ce projet de traité, qui restera à l'état de brouillon, et il relativise également la portée de l'oeuvre de Guénon, continuant toutefois à s'intéresser aux conceptions mathématiques de l'auteur des Principes du calcul infinitésimal
Queneau retournera à la lecture des ouvrages de Guénon à partir de 1969 et ce jusqu'à la fin de sa vie, reprenant dans Morale Élémentaire (1975) des développements issus de L'Homme et son devenir selon le Vêdânta. Il aurait vers cette époque confié à son fils Jean-Marie : « J'ai trop lu René Guénon. »
Annexes
OEuvres
Livres de René Guénon
- Aperçus sur l'Initiation, (1946) Éditions Traditionnelles, Paris. ISBN 2-7138-0064-1.
- Autorité spirituelle et pouvoir temporel, (1952) Guy Trédaniel/Éditions de la Maisnie, Paris. ISBN 2-85-707-142-6.
- Introduction générale à l'étude des doctrines hindoues, (1921) Guy Trédaniel/Éditions de la Maisnie, Paris. Sans ISBN.
- L'Erreur spirite, (1923) Éditions Traditionnelles. ISBN 2-7138-0059-5.
- L'Homme et son devenir selon le Vêdânta, (1925) Éditions Traditionnelles. ISBN 2-7138-65-X.
- La Crise du monde moderne, (1927) Gallimard, Paris. ISBN 2-07-023005-8.
- La Grande Triade, (1946) Gallimard, Paris. ISBN 2-07-023007-4.
- La Métaphysique orientale, (1939) Éditions Traditionnelles, Paris. Sans ISBN.
- Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps, (1945) Gallimard, Paris. ISBN 2-07-023003-1.
- Le Roi du Monde, (1927) Gallimard, Paris. ISBN 2-07-023008-2.
- Le Symbolisme de la Croix, (1931) Guy Trédaniel/Éditions de la Maisnie, Paris. ISBN 2-85-707-146-9.
- Le Théosophisme, histoire d'une pseudo-religion, (1921) Éditions Traditionnelles, Paris. Sans ISBN.
- Les États multiples de l'Être, (1932) Guy Trédaniel/Éditions de la Maisnie, Paris. ISBN 2-85-707-143-4.
- Les Principes du Calcul infinitésimal, (1946) Gallimard, Paris. ISBN 2-07-023004-X.
- Orient et Occident, (1924) Guy Trédaniel/Éditions de la Maisnie, Paris. ISBN 2-85829-449-6.
- Saint Bernard, (1929) Éditions Traditionnelles. Sans ISBN.
- L’Ésotérisme de Dante, (1925) Éditions Traditionnelles. Sans ISBN.
Recueils posthumes d'articles de René Guénon
- Aperçus sur l'ésotérisme chrétien, Éditions Traditionnelles. Sans ISBN.
- Aperçus sur l'ésotérisme islamique et le taoïsme, Gallimard, Paris, ISBN 2-07-028547-2.
- Comptes rendus, Éditions Traditionnelles. Sans ISBN.
- Études sur l'Hindouisme, Éditions Traditionnelles, Paris. Sans ISBN.
- Études sur la Franc-maçonnerie et le Compagnonnage, t. 1, Éditions Traditionnelles, Paris. ISBN 2-7138-0066-8.
- Études sur la Franc-maçonnerie et le Compagnonnage, t. 2, Éditions Traditionnelles, Paris. ISBN 2-7138-0067-6.
- Formes traditionnelles et cycles cosmiques, Gallimard, Paris. ISBN 2-07-027053-X.
- Initiation et Réalisation spirituelle, Éditions Traditionnelles, Paris. Sans ISBN.
- Mélanges, Gallimard, Paris. ISBN 2-07-072062-4.
- Symboles de la Science sacrée, Gallimard, Paris. ISBN 2-07-029752-7.
Bibliographie diverse
Ouvrages collectifs au sujet de René Guénon et de la doctrine traditionnelle
- Études Traditionnelles n. 293-295 : Numéro spécial consacré à René Guénon. Sans ISSN.
- La Lettre G - Revue maçonnique en langue française et italienne. Sans ISSN.
- Sigaud, Pierre-Marie (éd.) : Dossier H René Guénon, L'Âge d'Homme, Lausanne. ISBN 2-8251-3044-3.
- (Collectif), René Guénon : colloque du centenaire Domus Medica, Le cercle de lumière. ISBN 2-909972-00.
- Jean-Pierre Laurant et Barbanegra, Paul (éd.) : « Cahiers de l'Herne » 49 : René Guénon, Éditions de l'Herne, Paris. ISBN 2-85-197-055-0.
- (Collectif), Quelle humanité ? demain…, Vers la Tradition, Châlons-sur-Marne (France). Sans ISSN.
- (Collectif), Il y a cinquante ans, René Guénon…, Éditions Traditionnelles, Paris. ISBN 2-7138-0180-X. (Notes.)
- " Narthex" n° trimestriel 21-22-23 de mars-août 1978,(et semble-t-il dernier),"Numéro spécial René Guénon" constitué de deux contributions de Jean Hani et de Bernard Dubant.(Malheureusement cette remarquable revue tirée à seulement 600 exemplaires est introuvable et ne peut être consultée qu'à la BN)
Autres ouvrages au sujet de René Guénon
- Abd Ar-Razzâq Yahyâ (Ch.-A. Gilis) : Tawhîd et Ikhlâs, Aspects ésotériques, Le Turban Noir, 2006, Paris.
- Accart, Xavier : L'Ermite de Duqqi, Archè. ISBN 88-7252-227-7. (Notes.)
- Accart, Xavier : Guénon ou le renversement des clartés : Influence d'un métaphysicien sur la vie littéraire et intellectuelle française (1920-1970), 2005, Edidit. ISBN 978-2912770035.
- Barazzetti, Enrico : L'espace symbolique. Développements du symbolisme mathématique des états multiples de l'être, Archè, Milano, 1997.
- Batache, Eddy : Surréalisme et Tradition, Éditions Traditionnelles. Sans ISBN.
- Chacornac, Paul : La Vie simple de René Guénon, Éditions Traditionnelles, Paris. Sans ISBN.
- Gattegno, David : Guénon : qui suis-je ?, Pardès, Puiseaux (France). ISBN 2867142385.
- Geay, Patrick : Hermès Trahi : Impostures philosophiques et néo-spiritualisme d'après l'oeuvre de René Guénon Dervy. ISBN 2-85076-816-2.
- Geay, Patrick : Mystères et significations du Temple maçonnique, Dervy, Paris, 2000. ISBN 2-84454-056-2. (Notes.)
- Gilis, Charles-André : Introduction à l'enseignement et au mystère de René Guénon, Les Éditions de l'OEuvre, Paris. ISBN 2-904011-03-X.
- Gilis, Charles-André : Les sept Étendards du Califat, Éditions Traditionnelles. ISBN 2-7138-0141-9.
- Gilis, Charles-André : René Guénon et l'avènement du troisième Sceau. Éditions Traditionnelles, Paris. ISBN 2-7138-0133-8.
- Grossato, Alessandro : Psychologie (attribué à René Guénon), Archè. ISBN 88-7252-231-5. (Notes.)
- Hapel, Bruno : René Guénon et l'Archéomètre, Guy Trédaniel, Paris. ISBN 2-85707-842-0.
- Hapel, Bruno : René Guénon et l'esprit de l'Inde, Guy Trédaniel, Paris. ISBN 2-85707-990-7.
- Hapel, Bruno : René Guénon et le Roi du Monde, Guy Trédaniel, Paris. ISBN 2-84445-244-2.
- James, Marie-France : Ésotérisme et Christianisme autour de René Guénon, Nouvelles Éditions Latines, Paris. ISBN 2-7233-0146-X.
- Maxence, Jean-Luc : René Guénon, le Philosophe invisible, Presses de la Renaissance, Paris. ISBN 2-85-616-812-4. (Notes.)
- Mercier, Raymond : Clartés Métaphysiques, Éditions Traditionnelles, Paris. Sans ISBN.
- Montaigu, Henry : René Guénon ou la mise en demeure. La Place Royale, Gaillac (France). ISBN 2-906043-00-1.
- Nutrizio, Pietro (e altri) : René Guénon e l'Occidente, Luni Editrice, Milano/Trento, 1999.
- Prévost, Pierre : Georges Bataille et René Guénon, Jean Michel Place, Paris. ISBN 2-85893-156-9.
- Reyor, Jean : Études et recherches traditionnelles, Éditions Traditionnelles, Paris. ISBN 2-7138-0134-6.
- Reyor, Jean : Sur la route des Maîtres maçons, Éditions Traditionnelles, Paris. Sans ISBN.
- Robin, Jean : René Guénon, témoin de la Tradition, 2e édition, Guy Trédaniel Éditeur. ISBN 2-85-707-026-8.
- Sérant, Paul : René Guénon, Le Courrier du livre, Paris. ISBN 2-7029-0050-X.
- Tourniac, Jean : Melkitsedeq ou la tradition primordiale, Albin Michel, Paris. ISBN 2-226-01769-0.
- Tourniac, Jean : Présence de René Guénon, t. 1 : L'oeuvre et l'univers rituel, Soleil Natal, Étampes (France). ISBN 2-90-527-058-6.
- Tourniac, Jean : Présence de René Guénon, t. 2 : La Maçonnerie templière et le message traditionnel, Soleil Natal, Étampes (France). ISBN 2-90-527-059-4.
- Ursin, Jean : René Guénon, Approche d'un homme complexe, Ivoire-Clair, Lumière sur..., Groslay (France). ISBN 2-913882-31-5.
- Vâlsan, Michel : L'Islam et la fonction de René Guénon, Les Éditions de l'OEuvre, Paris. ISBN 2-904011-06-6.
- Vivenza, Jean-Marc : Le Dictionnaire de René Guénon, Le Mercure Dauphinois, 2002. ISBN 2-913826-17-2.
- Vivenza, Jean-Marc : La Métaphysique de René Guénon, Le Mercure Dauphinois, 2004.ISBN 2-913826-42-3.
Liens externes
Pages sur ce thème sur les projets Wikimedia :
Notes et références
..