(Śūnyatā) Dans le Bouddhisme, la vacuité (Sanskrit : शून्यता, Śūnyatā ; pali: suññata), ou ainsité (tathatā) des choses, désigne leur absence d'être en soi, autrement dit l'inexistence de toute essence, de tout caractère fixe et inchangeant. Elle s'applique aux choses aussi bien qu'aux pensées et aux états d'esprits.
La vacuité ne vide pas les choses de leur contenu, elle est leur véritable nature (Philippe Cornu, Dictionnaire encyclopédique du bouddhisme, 2001, Seuil). Il ne s'agit donc pas de Nihilisme.
La vacuité est un terme qui peut être mal interprêté. Ainsi, Ringou Tulkou Rimpotché en parle en ces termes (extrait du livre Et si vous m'expliquiez le bouddhisme ?) :
Selon le bouddhisme, tout est en essence vacuité (shûnyatâ ou śūnyatā), tant le samsâra que le nirvâna. Shûnyatâ ne signifie pas « vide ». C'est un mot très difficile à comprendre et à définir. C'est avec réserve que je le traduis par « vacuité ». La meilleure définition est, à mon avis, « interdépendance », ce qui signifie que toute chose dépend des autres pour exister. Tout est par nature interdépendant et donc vide d'existence propre.
La vacuité bouddhique n'est pas un concept qui relève seulement de la pensée discursive, il est destiné d'abord à ouvrir l'intuition métaphysique (prajñā) du pratiquant.
Dans le bouddhisme hînayâna
La vacuité, traduction de
sunnata, enseigne que toutes les perceptions, sensations, la conscience sont dépourvues d'une personnalité (
anātman) et dépourvues de permanence (
Anitya). Le terme de vacuité est traité dans plusieurs
suttas, en tant que
- Qualité, caractéristique des choses ;
- Objet sur lequel est portée l'attention ;
- Contemplation de la vacuité : sunnata vipassana .
De même, dans le Visuddhimagga, la vacuité correspond à l'absence de moi, ou anatta. La vacuité, dans le theravada, renvoie donc aux trois caractéristiques.
Le thème de la vacuité apparaît dans le Suñña Sutta du Canon pali : "Étant donné qu'il est dépourvu d'un soi ou de quoi que ce soit appartenant à un soi, on dit dans ce sens que le monde est vide".
La vacuité fait également partie des trois samadhis, ou portes du nirvāna : vacuité, "sans-signe" (animitta), "sans préhension" (apranihita).
Dans le bouddhisme mahâyâna
La vacuité est l'objet de la
Prajñaparamita, la Perfection de la Sagesse, groupe de sûtras du Mahâyâna portant sur la sagesse transcendante, centrée autour de la vacuité. Elle est notamment étudiée par
Nagarjuna, qui énonce dix-huit formes particulières de vacuité, la principale, qui résume toutes les autres, étant la vacuité de tous les dharma (
sarvadharmasūnyatā).
En effet, dans son Ratnavali, Arya Nagarjuna dit que tant qu'on a l'appréhension des agrégats (ou phénomènes = dharmas), on aura une appréhension du soi personnel. C'est pourquoi ses ouvrages dialectiques s'emploient à déconstruire toute forme de réification.
Qu'est-ce qui est vide ? Et vide de quoi ? Sont des questions essentielles pour le Bouddhisme car leur réponses sont d'un intérêt sotériologique incontournable.
Tout est vide, depuis le moindre grain de poussière jusqu'au Bouddha et ce qui le caractérise.
Mais vide de quoi ?
Vide d'une existence intrinsèque, inhérente ou indépendante; vide d'une nature propre, résistant à l'analyse; vide de toute essence objective. De ce fait cette vacuité, et la Voie du Milieu qui l'enseigne, transcendent les extrêmes que sont l'abolutisme/éternalisme/réificationisme, et le nihilisme. En effet, les choses existent mais pas de la manière dont elles nous apparaissent, pas en soi. C'est pourquoi cette ontologie typiquement bouddhiste est qualifié de vacuité de soi (skt. svabhava-shunyata, tib. rangtong).
Selon la branche très subtile Prasangika de la Voie médiane, leur existence est purement nominale (tib. ming tsam) car dépend d'un nom ou d'un concept (tokpai tak tsam) qui les désigne sur la base de leurs caractéristiques ou base d'imputation (tak shi).
Notons que les enseignements très précis du Mahayana sur la vacuité ne sont que des développements du non-soi enseigné dans le Véhicule Fondamental car tout y est déjà inscrit explicitement ou implicitement. Le Prasangika Madhyamika considère que les Arhats ont réalisé exactement la même vacuité profonde que les Bouddhas. La seule différence réside dans l'aspect vaste de la Voie.
Voir les nombreux enseignements de Sa Sainteté le Dalaï Lama, comme Se voir tel qu'on est, ou Cent Eléphants sur un brin d'herbe, entre autres.
Quatre vacuités
- Vacuité des choses substantielles
- Vacuité des non-choses : l'espace, le nirvāna
- Vacuité de la nature inhérente
- Vacuité autre, soit le caractère transcendant des phénomènes.
Seize vacuités
Le Prajñaparamita
Sûtra expose seize vacuités que
Chandrakirti commenta.
- Vacuité des phénomènes internes (OEil, Oreille, Nez et autre facultés des sens)
- Vacuité des phénomènes externes, perçus
- Vacuité interne et externe à la fois
- Vacuité de la vacuité
- Vacuité de l'immensité
- Vacuité de l'ultime
- Vacuité des phénomènes composés, voir coproduction conditionnée
- Vacuité des phénomènes incomposés
- Vacuité de ce qui est au-delà des extrêmes (du Néant et de la permanence)
- Vacuité de ce qui n'a ni commencement ni fin , le samsara
- Vacuité de ce qui ne doit pas être rejeté
- Vacuité de nature des phénomènes
- Vacuité de tous les phénomènes
- Vacuité des caractères propres
- Vacuité de l'inappréhendable
- Vacuité des insubstantiels
Deux vacuités
L'anagārika Prajñānanda indique deux sens possibles pour la vacuité, exprimés par exemple dans des écrits tels que le
Sūtra du Coeur :
- D'une part, la qualité phénoménale dénotant la non-essence des phénomènes ; mieux que par vacuité, elle pourrait se traduire par « bulléité ». Les phénomènes sont comparables à des bulles qui naissent, gonflent, se dégonflent ou crèvent. Cette notion de vacuité-bulléité est toujours à accoler à tathatā, la telléité, la quiddité. Chaque bulle est « vide » mais « telle ». La deuxième signification est ce que l'on pourrait appeler « vacuité absolue », par exemple: sūnyatāyam na rūpam, na vedanā, na samjnā, na samskāra, na vijnānam ("dans la vacuité, il n’y a ni forme, ni sensation, ni notion, ni facteur d’existence ni connaissance discriminative"). La négation est totale. (Bouddhisme gnostique, 1981)
Par "négation totale", la Voie médiane ne nie pas l'existence des phénomènes ou leur existence relative, illusoire, mais par contre cette négation totale nie complètement toute nature propre ou intrinsèque des phénomènes.
Bref, les phénomènes ne sont pas niés, car ce qui est nié est leur essence que nous concevons à tort et de manière innée comme intrinsèque ou indépendante. Et comme c'est l'existence indépendante des phénomènes qui est niée, leur existence dépendante ou purement nominale (tib. tokpai tak tsam) est affirmée. C'est pourquoi les deux types de vacuités exprimés par l'anagārika Prajñānanda sont unis en un seul par les tenants du Prasangika exégètes des Prajnaparamita Sutras.
Cette distinction entre "vacuité relative" et "vacuité absolue" rejoint la distinction établie par Nagarjuna entre vérité conventionnelle et vérité absolue, distinction qui est elle-même conventionnelle. La vacuité relative des phénomènes ne constitue pas de façon ultime une nature propre ("vacuité de la vacuité") et le conditionnement ne peut être inconditionné : la Non-dualité ne débouche pas sur un quelconque Monisme, car s'il est vrai que les êtres sont vides, le non-être est vide, et l'Absolu lui-même est vide, et la distinction entre relatif et absolu n'a pas lieu d'être ultimement. Nous ne sommes donc pas différents de l'Absolu, et c'est pour cela qu'une libération (nirvāna) est possible.
Cet Absolu n'a pas d'existence absolue car rien n'en possède; donc c'est une réalité omniprésente et c'est en cela qu'on peut dire que nous ne sommes pas diférents de cette réalité vide. Et en définitive, ni Nagarjuna ni ses suivants prasangikas ne font de différence entre les deux types de vacuité car le fait de nier l'existence inhérente de la forme, par exemple revient à affirmer qu'elle existe bien mais seulement de manière dépendante.
Voir la fameuse stance 19 du Chapitre XXIV dans le Madhyamakashastra de Nagarjuna:
Puisqu'il n'est rien qui ne soit dépendant, Il n'est rien qui ne soit vide.
Dans l'hindouisme
Le bouddhisme n'est pas la seule doctrine à avoir développé la notion de vacuité. Certaines écoles hindoues y font aussi référence. Le shivaïsme du Cachemire a particulièrement développé cette notion.
Pour eux, la vacuité est une étape nécessaire, mais non suffisante. Elle est destinée a être dépassée. Il y a donc plusieurs stades de vacuité allant de l'inférieur (à commencer par le sommeil profond), aux stades supérieures. La vacuité y est conçue comme une sorte de vide ou de trou caractéristique d'un développement insuffisant de la conscience. Il vaut donc mieux ne pas s'y attarder, ou bien on risque de s'y perdre sans remède.
C'est ainsi qu'ils ont développé un principe critique de la vacuité bouddhiste contre laquelle ils ont adressé de sévères mises en garde. Cependant, la définition utilisée varie entre les deux mouvements : tandis que les bouddhistes considèrent la vacuité comme étant la véritable nature des choses, le shivaïsme du Cachemire la considère comme un moyen de développement spirituel. Bien que les termes soient semblables, ils ne recouvrent pas les mêmes concepts.
En effet, ce qui est nommé "vacuité" n'est pas forcément cette négation non-affirmative (prasajya-pratiseddha) ou cette vacuité de soi (skt. svabhava-shunyata) dont parle le Bouddhisme avec surtout sa philosohpie Conséquentialiste de la Voie Médiane (Prasangika-Madhyamika). On peut être dans un vide mais ce vide peut tout simplement être une vacuité d'altérité (parabhava-shunyata), une vacuité qui nie des phénomènes autres que l'objet vide, mais pas forcément la vacuité de nature propre de cet objet.
Cf. The Geluk/Kagyu Tradition of Mahamudra ou Le Monde du Bouddhisme Tibétain ou encore le Sens de la Vie, de Sa Sainteté le Dalaï Lama.
Voir aussi
Articles connexes
- Les trois caractéristiques de l'existence conditionnée :
- Deux textes de la Prajñaparamita :
Liens externes
Références
- Cula-suññata Sutta, petit discours sur la vacuité, (Majjhima Nikaya, 121)
- Maha-suññata Sutta ,grand discours sur la vacuité (Majjhima Nikaya, 122)
- Suñña Sutta, vide (Samyutta Nikaya, XXXV, 85)
- Le Traité du milieu, Nagarjuna, Seuil.
- Stances du Milieu par excellence, Nagarjuna, trad. et comm. Guy Bugault, éd. NRF
- The Geluk/Kagyü Tradition of Mahamudra, S.S. le Dalaï Lama, éd. Snow Lion.
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