Pour les articles homonymes, voir Trois Glorieuses (homonymie).
La révolution de Juillet, révolution française à la faveur de laquelle un nouveau régime, la Monarchie de Juillet, succède à la Seconde Restauration, se déroule sur trois journées, les 27, 28 et 29 juillet 1830, dites les « Trois Glorieuses ».
Après une longue période d’agitation ministérielle puis parlementaire, le roi Charles X tente un coup de force constitutionnel par ses ordonnances de Saint-Cloud du 25 juillet 1830. En réaction, un mouvement de foule se transforme rapidement en révolution républicaine. Le peuple parisien se soulève, dresse des barricades dans les rues et affronte les forces armées commandées par le maréchal Marmont au cours de combats qui font quelque 200 tués chez les soldats et près de 800 chez les insurgés.
Charles X et la famille royale fuient Paris. Les députés libéraux, majoritairement monarchistes, prennent en main la révolution populaire et, au terme de l’« Hésitation de 1830 », conservent une monarchie constitutionnelle au prix d’un changement de dynastie.
La maison d’Orléans, branche cadette de la maison de Bourbon, succède à la branche aînée et les Français se donnent un nouveau roi en la personne de Louis-Philippe Ier, proclamé « roi des Français » et non plus « roi de France ».
Les causes de la Révolution de 1830
Lors des élections de
1827, les libéraux deviennent majoritaires à l’assemblée, et
Charles X consent à nommer un premier ministre à mi-chemin entre ses opinions
ultra et l’orientation de la nouvelle chambre. Il appelle le vicomte de Martignac à former un ministère semi-libéral, semi-autoritaire. Mais, continuant sur sa lancée, l’opposition libérale grandit et s’affirme.
Le raidissement de Charles X : la constitution du ministère Polignac
Constatant l’échec de cette tentative de compromis, Charles X prépare, en sous-main, un revirement de politique : pendant l’été
1829, alors que les Chambres sont en vacances, il renvoie subitement le vicomte de Martignac et le remplace par le prince de Polignac. Publiée dans
Le Moniteur le
8 août, la nouvelle fait l’effet d’une bombe. Le nouveau ministre des Affaires étrangères, qui apparaît rapidement comme le chef du ministère, évoque les pires souvenirs de la cour de Versailles – il est le fils de l’amie intime de Marie-Antoinette, la très impopulaire
duchesse de Polignac – et de l’émigration, durant laquelle il a été le compagnon de Charles X en
Angleterre. À ses côtés, le comte de La Bourdonnaye, ministre de l’Intérieur, est un
ultra parmi les plus enragés, qui s’est signalé en
1815 en réclamant « des supplices, des fers, des bourreaux, la mort, la mort » pour les complices de Napoléon, tandis que le ministre de la Guerre, le général de Bourmont, est un ancien
Chouan rallié à
Napoléon Ier avant de le trahir quelques jours avant la
Bataille de Waterloo.
L’opposition pousse des clameurs indignées : « Coblentz, Waterloo, 1815 : voilà les trois principes, voilà les trois personnages du ministère. Tournez-le de quelque côté que vous voudrez, de tous les côtés il effraie, de tous les côtés il irrite. Pressez, tordez ce ministère, il ne dégoutte qu’humiliations, malheurs et chagrins. » Bertin aîné, directeur du Journal des débats, publie un article célèbre qui se termine par la formule : « Malheureuse France ! Malheureux roi ! », où il stigmatise « la cour avec ses vieilles rancunes, l’émigration avec ses préjugés, le sacerdoce avec sa haine de la liberté ».
Il y a, dans cette véhémence, une part de mise en scène. Polignac, présenté comme un bigot fanatique obsédé par le droit divin des rois, est en réalité favorable à une monarchie constitutionnelle, mais considère que celle-ci n’est pas compatible avec une liberté de la presse sans limite ni mesure. Plusieurs ministres importants – Courvoisier à la Justice, Montbel à l’Instruction publique, Chabrol de Crouzol aux Finances, le baron d’Haussez à la Marine – sont plutôt libéraux. Lorsque La Bourdonnaye démissionne le 18 novembre quand Polignac accède à la présidence du Conseil, il est remplacé par le baron de Montbel, lui-même remplacé à l'Instruction publique par un magistrat libéral, le comte de Guernon-Ranville.
Rien ne permet d’affirmer que, comme l’a prétendu l’opposition, Charles X et Polignac aient voulu rétablir la monarchie absolue d’avant 1789. En réalité, ce sont deux conceptions de la monarchie constitutionnelle, c’est-à-dire deux interprétations de la Charte de 1814, qui s’affrontent en 1829-1830. D’un côté le roi veut s’en tenir à une lecture stricte de la Charte : pour lui, le monarque peut nommer les ministres de son choix et n’a à les renvoyer que dans les deux cas prévus par la Charte (trahison ou concussion). De l’autre côté, les libéraux voudraient faire évoluer le régime à l’anglaise, vers un parlementarisme que la Charte n’a pas explicitement prévu : ils estiment que le ministère doit avoir la confiance de la majorité de la Chambre des députés. Ce débat ne sera d’ailleurs pas tranché par la Monarchie de Juillet.
Le point de départ de l’escalade : l’Adresse des 221
Au début de
1830, le climat en France est électrique. L’opposition est chauffée à blanc par les maladresses du ministère. L’hiver
1829-1830 a été particulièrement rigoureux, et l’économie est morose. Des bandes de miséreux errent dans les campagnes. Des incendies d’origine inconnue, dont libéraux et ultras se rejettent mutuellement la responsabilité, plongent la
Normandie dans la peur.
Adolphe Thiers, Armand Carrel, François-Auguste Mignet et Auguste Sautelet fondent un nouveau quotidien d’opposition, Le National, dont le premier numéro paraît le 3 janvier 1830. Le journal milite pour une monarchie parlementaire, et évoque ouvertement la « Glorieuse Révolution » anglaise de 1688, à l’issue de laquelle le roi Jacques II, incapable de comprendre les aspirations de son peuple, a été déposé et remplacé par sa fille, Marie et l’époux de celle-ci, Guillaume d’Orange. D’autres journaux comme Le Globe et Le Temps relaient ces attaques, de plus en plus ouvertes, contre le roi et le gouvernement, tandis que Le Constitutionnel et le Journal des débats défendent eux aussi, mais avec plus de mesure, les idées libérales.
Le 2 mars 1830, lors de l’ouverture de la session parlementaire, Charles X prononce un discours du trône dans lequel il annonce l’expédition militaire d’Alger et menace implicitement l’opposition de gouverner par ordonnances en cas de blocage des institutions. Commençant à délibérer, la Chambre établit la liste des cinq noms qu’elle propose au roi pour la présidence : Royer-Collard, qui est nommé, suivi de Casimir Perier, Delalot, Agier et Sébastiani. Les députés abordent ensuite la discussion du projet d’adresse élaboré par la commission nommée à cet effet, et qui est examiné les 15 et 16 mars.
Article détaillé : .
Le projet est une véritable motion de défiance à l’encontre du ministère :
- « Sire, la Charte que nous devons à la sagesse de votre auguste prédécesseur, et dont Votre Majesté a la ferme volonté de consolider le bienfait, consacre comme un droit l’intervention du pays dans la délibération des intérêts publics. Cette intervention devait être, elle est, indirecte , mais elle est positive dans son résultat, car elle fait du concours permanent des vues politiques de votre gouvernement avec les voeux de votre peuple la condition indispensable de la marche régulière des affaires politiques. Sire, notre loyauté, notre dévouement nous condamnent à vous dire que ce concours n’existe pas. »
221 députés libéraux votent l’Adresse le 16 mars. Le 18 mars, à la délégation de la Chambre venue au Palais des Tuileries lui en donner lecture, Charles X répond avec hauteur que « résolutions sont immuables ». Le lendemain, une ordonnance ajourne la session au 1er septembre, ce qui met le Parlement en vacances pour six mois. À ce moment, le roi est déterminé à aller jusqu’au bout : « J’aime mieux monter à cheval qu’en charrette », dit-il.
Une situation de plus en plus explosive
La décision de Charles X suscite une véritable ébullition. Des rumeurs folles circulent. On accuse le roi et ses ministres de préparer un coup de force constitutionnel. D’autres affirment que Polignac, ancien ambassadeur à Londres et ami du Premier ministre britannique, le duc de Wellington, envisage, en cas de troubles en France, de solliciter, avec l’appui de l’
Angleterre, celui des puissances étrangères dans le cas où le roi serait conduit à suspendre ou à modifier certaines dispositions de la Charte.
En avril 1830, le comte de Montlosier publie un opuscule intitulé Le Ministère et la Chambre des députés, dans lequel il soutient que, si les droits du roi sont incontestables s’agissant du choix des ministres : « jusqu’ici seulement, ces droits s’étaient exercés à l’égard des chambres dans une mesure de conciliation et de bonté » et avec des « procédés d’égard et de ménagement, consacrés dans toute espèce de gouvernement constitutionnel », de sorte que « si le roi a le droit de choisir ses ministres, ce n’est pas contester la légalité que de contester la convenance ». Il suggère que le « parti prêtre » pourrait pousser le roi à légiférer par ordonnances sur le fondement de l’article 14 de la Charte pour imposer des « élections jésuitiques » au nom de la sûreté de l’État, et invoque, en pareille hypothèse, un devoir de désobéissance qui n’est pas sans rappeler le droit à l’insurrection consacré par le préambule de la Constitution montagnarde de 1793 : « Si par quelque artifice on venait à tromper en ce point la religion et la volonté , on n’obéirait pas. La désobéissance dans ce cas sauverait l’État et la royauté. »
Au Palais-Royal, Vatout, bibliothécaire et familier du duc d’Orléans, conseille à son maître d’exploiter la situation à son profit. Nombre des familiers du Palais-Royal – le général Gérard, Thiers, Talleyrand... – sont déjà persuadés que les Bourbons de la branche aînée sont perdus. Mais Louis-Philippe tergiverse. En mai, il reçoit à Paris son beau-frère et sa belle-soeur le roi François des Deux-Siciles et la reine Marie-Isabelle. C’est en l’honneur des souverains napolitains que, le 31 mai, une fête somptueuse est donnée au Palais-Royal où, fait exceptionnel, Charles X fait une apparition. Alors que le roi est déjà reparti, le peuple envahit les jardins, qu’on a laissés ouverts. Le duc d’Orléans paraît à plusieurs reprises au balcon et se fait acclamer par une foule d’où ne tardent pas à monter des cris hostiles au roi et à Polignac. La manifestation dégénère, on met le feu aux chaises du jardin, un début d’émeute dont la cour rend Louis-Philippe responsable. Le jeune comte de Salvandy, assistant à cette fête où « les cris de révolte se marient à la musique des contredanses et des valses », selon la formule du comte Apponyi, adresse au maître de maison le mot fameux, aussitôt répété dans tout Paris : « Voilà, Monseigneur, une fête toute napolitaine : nous dansons sur un volcan ! »
Article détaillé : . Le 16 mai 1830, alors qu’un corps expéditionnaire français est prêt à partir à la conquête d’Alger, Charles X dissout la Chambre des députés et convoque les collèges d’arrondissement le 23 juin et ceux de département le 3 juillet. Dans l’immédiat, la décision du roi provoque l’éclatement du ministère : Courvoisier et Chabrol de Crouzol, qui y sont hostiles, démissionnent, tandis que Chantelauze est nommé à la Justice et que Montbel, passé aux Finances, est remplacé à l'Intérieur par un ultra notoire, le comte de Peyronnet. Un préfet spécialiste des élections, le baron Capelle, entre dans le cabinet, officiellement à la tête d’un ministère des Travaux publics qui fait ainsi son apparition dans l’organigramme gouvernemental.
Le 13 juin, Charles X publie au Moniteur un appel aux Français dans lequel il accuse les députés de la Chambre dissoute « d’avoir méconnu ses intentions » et demande aux électeurs « de ne pas se laisser égarer par le langage insidieux des ennemis de leur repos », de « repousser d’indignes soupçons et de fausses craintes qui ébranleraient la confiance publique et pourraient exciter de graves désordres » ; il conclut : « C’est votre roi qui vous le demande. C’est un père qui vous appelle. Remplissez vos devoirs, je saurai remplir les miens. » La manoeuvre est risquée, car, ce faisant, le roi s’est exposé lui-même, prenant le risque du désaveu.
Les élections sont une déroute pour le roi : l’opposition passe de 221 à 270 députés, les ministériels ne sont plus que 145 contre 181, et 13 députés sont revendiqués par les deux camps.
Le détonateur : les ordonnances du 25 juillet 1830
Lors du conseil des ministres du
6 juillet, Polignac constate que le gouvernement par ordonnances, sur la base de l’article 14 de la Charte, envisagé de longue date, est désormais le seul recours. Malgré les réserves de Guernon-Ranville, Charles X tranche en ce sens dès le lendemain. Les principales mesures sont d’ores et déjà arrêtées : nouvelle dissolution de la Chambre des députés, modification de la loi électorale, organisation de nouvelles élections, suspension de la liberté de la presse. Pour Charles X, la gauche, en harcelant le ministère, veut renverser la monarchie : il ne saurait donc être question pour lui de renvoyer le cabinet et le gouvernement par ordonnances est le seul moyen de maintenir la Charte.
Article détaillé : . Le lendemain, 9 juillet, arrive à Paris la nouvelle de la prise d’Alger. Cette gloire militaire qui vient auréoler un régime à bout de souffle conforte le roi dans ses intentions. Mais elle lui aliène l’Angleterre, d’autant que Charles X fait répondre avec hauteur aux demandes d’éclaircissements adressées par le cabinet britannique, et ce soutien lui manque lors des journées de Juillet.
À partir du 10 juillet, le roi et les ministres préparent les ordonnances dans le plus grand secret. Même le préfet de police et les autorités militaires ne sont pas mis dans la confidence, de sorte que rien n’est préparé pour maintenir l’ordre dans la capitale.
L’opposition libérale, qui se doute qu’un coup de force se prépare, redoute une insurrection populaire qu’elle n’est pas certaine de pouvoir maîtriser. La grande majorité des députés libéraux, issus de l’aristocratie ou de la bourgeoisie aisée, ne sont nullement démocrates. Le 10 juillet, une quarantaine de députés et de pairs, réunis chez le duc de Broglie, décident qu’en cas de coup de force, ils refuseraient le vote du budget. Parallèlement, des discussions sont engagées avec l’entourage de Charles X par l’intermédiaire d’un de ses familiers, Ferdinand de Bertier de Sauvigny. Les députés proches du Palais-Royal pourraient accepter le maintien de Polignac, des modifications de la loi électorale et du régime de la presse, moyennant l’entrée dans le cabinet de trois ministres libéraux dont Casimir Perier et le général Sébastiani. Mais ces discussions tournent court : Polignac préfère jouer le tout pour le tout et tenter l’épreuve de force.
Le duc d’Orléans, de son côté, passe l’été dans son Château de Neuilly, où il s’est installé avec sa famille le 9 juillet. Il fait l’indifférent et attend son heure. Le marquis de Sémonville, grand référendaire de la Chambre des Pairs, type même du personnage douteux, vient lui rendre visite le 21 juillet et lui fait des ouvertures précises :
- – La couronne ? Jamais, Sémonville, à moins qu’elle ne m’arrive de droit !
- – Ce sera de droit, Monseigneur, elle sera par terre, la France la ramassera et vous forcera à la porter.
Le 25 juillet à onze heures du soir, le garde des sceaux, Chantelauze, remet les ordonnances au rédacteur en chef du Moniteur pour qu’elles soient imprimées dans la nuit et publiées au matin du lundi 26 :
- la première ordonnance suspend la liberté de la presse et soumet toutes les publications périodiques à une autorisation du gouvernement ;
- la deuxième dissout la Chambre des députés alors que celle-ci vient d’être élue et ne s’est encore jamais réunie ;
- la troisième écarte la patente pour le calcul du cens électoral, de manière à écarter une partie de la bourgeoisie commerçante ou industrielle, d’opinions plus libérales, réduit le nombre des députés de 428 à 258 et rétablit un système d’élections à deux degrés dans lequel le choix final des députés procède du collège électoral de département, qui rassemble seulement le quart des électeurs les plus imposés de la circonscription ;
- la quatrième convoque les collèges électoraux pour septembre ;
- les cinquième et sixième procèdent à des nominations de conseillers d’État au profit d’ultras notoires.
Les journées de Juillet
26 juillet : la fermentation de la révolte
Le lundi
26 juillet, magnifique journée d’été, il fait une chaleur accablante. La publication des ordonnances plonge le pays dans un véritable état de stupeur. L’on s’attendait à un coup de force, mais on n’imaginait pas que le roi agirait avant la réunion des Chambres prévue pour le
3 août. L’effet de surprise est donc total, alors que la plupart des opposants ne sont pas encore rentrés à Paris.
Dès le début de l’après-midi, les propriétaires du Constitutionnel organisent une réunion chez leur avocat, André Dupin, par ailleurs député libéral et avocat du duc d’Orléans. Y assistent quelques journalistes, dont Charles de Rémusat et Pierre Leroux du Globe, et des avocats comme Odilon Barrot et Joseph Mérilhou. Dupin explique que les ordonnances sont contraires à la Charte, donc illégales, mais, sur la suggestion de Rémusat de rédiger une protestation, il objecte que la réunion se tient dans son cabinet d’avocat et ne saurait donc prendre un tour politique. Rémusat et Leroux se rendent alors dans les bureaux du National où des journalistes sont réunis autour de Thiers, Mignet et Carrel. Le journal publie une édition spéciale appelant à la résistance par la grève de l’impôt. Thiers et Rémusat proposent d’élever une protestation solennelle qui est rédigée sur-le-champ, signée par 44 journalistes et publiée le lendemain dans les journaux Le National, Le Globe et Le Temps :
- « Le régime légal est interrompu, celui de la force est commencé. Dans la situation où nous sommes placés, l’obéissance cesse d’être un devoir. Aujourd’hui donc, des ministres criminels ont violé la légalité. Nous sommes dispensés d’obéir. Nous essaierons de publier nos feuilles sans demander l’autorisation qui nous est imposée. »
Au même moment, les députés libéraux présents à Paris cherchent à s’organiser, mais de manière encore timide car ils redoutent la réaction du gouvernement. Alexandre de Laborde et Louis Bérard sont les plus allants. Une première réunion a lieu chez Casimir Perier dans l’après-midi du 26, où se retrouvent Bérard, Bertin de Vaux, Laborde, Saint-Aignan, Sébastiani et Taillepied de Bondy. Bérard propose une protestation collective, mais ses collègues refusent de s’engager. Déçu, il se rend, accompagné par Laborde, dans les bureaux du National où il se joint à la protestation de Thiers.
Dans la soirée, une quinzaine de députés se réunissent chez Laborde, parmi lesquels Bavoux, Bérard, Lefebvre, Mauguin, Perier, Persil, Schonen. Bérard propose à nouveau une protestation collective, mais les députés présents se dérobent au motif qu’ils ne sont pas suffisamment nombreux. On se borne à décider de se revoir le lendemain à quinze heures chez Casimir Perier qui, quoique visiblement embarrassé, n’ose pas refuser son salon.
Au même moment, quelques attroupements commencent à se former au Palais-Royal, Place du Carrousel, Place Vendôme, sous l'impulsion de l'Association de Janvier. On crie : « Vive la Charte ! À bas les ministres ! À bas Polignac ». Des manifestants reconnaissent la voiture de Polignac qui, en compagnie du baron d’Haussez, rentre à l’hôtel des Affaires étrangères, alors sis rue Neuve-des-Capucines. Des pierres sont lancées en direction de l’équipage, une vitre est brisée dont les éclats égratignent d’Haussez, mais le cocher parvient à entrer au grand galop dans la cour de l’hôtel dont les gendarmes referment aussitôt la porte. Un calme trompeur retombe sur Paris qui s’endort dans l’inquiétude du lendemain.
27 juillet : de l’émeute à l’insurrection
Le 27 juillet, bravant les ordonnances,
Le National,
Le Temps,
Le Globe et
Le Journal du commerce paraissent sans autorisation et publient la protestation des journalistes. Aussitôt, le préfet de police,
Claude Mangin, ordonne la saisie des presses des quatre journaux en cause et le parquet lance des mandats d’arrêt contre les signataires de la protestation. De vives échauffourées ont lieu entre la police et les ouvriers typographes, qui redoutent de perdre leur emploi et vont former le noyau dur de l’insurrection.
La sociologie de l’émeute demeure un sujet de controverses entre les historiens. Pour l’historiographie socialiste et communiste, dans la lignée d’Ernest Labrousse, les insurgés sont des victimes de la crise économique et des exclus. Pour d’autres, comme David H. Pinkney, ce sont essentiellement des artisans, des boutiquiers et des employés, dont beaucoup ont fait partie de la garde nationale jusqu’à sa suppression en 1827 et ont conservé leur arme. Pour Jean Tulard, se basant sur les archives de la préfecture de police, ce sont « des ouvriers saisonniers, sans passé ni traditions révolutionnaires masse facilement entraînée par les étudiants et les meneurs politiques ».
Des meneurs, il y en a : depuis au moins un an, activistes républicains ou bonapartistes ont préparé le terrain. Les républicains ne sont qu’une poignée, mais actifs et déterminés : Godefroy Cavaignac, Joseph Guinard, Armand Marrast, Louis-Adolphe Morhéry, François-Vincent Raspail, Ulysse Trélat, Ferdinand Flocon, Auguste Blanqui, etc. Les bonapartistes, souvent anciens soldats de l’Empire sont plus nombreux, mais aussi plus discrets, se retrouvant au sein de sociétés secrètes sous l’égide de la Charbonnerie.
À quinze heures, une trentaine de députés libéraux se réunissent chez Casimir Perier sous la présidence de leur doyen d’âge, le député d’extrême gauche Labbey de Pompières qui s’était rendu célèbre en demandant, en 1829, la mise en accusation du ministère Villèle. La plupart des députés présents sont inquiets, et se demandent s’ils ont le droit de se réunir. Bérard, qui trouve Casimir Perier « remarquable par un air de gêne et de contrainte extrêmement prononcé », propose une nouvelle fois de rédiger une protestation. Villemain suggère une simple lettre à Charles X et Dupin, des protestations individuelles. Après de nouvelles tergiversations, seul Guizot s’offre pour préparer un projet qu’il soumettra le lendemain. Vers dix-sept heures, les députés se séparent une fois de plus sans avoir rien résolu de clair. En réalité, la majorité des députés n’ont aucune envie de créer l’irréparable avec Charles X et les ministres, et s’accommoderaient d’un retrait des ordonnances et d’un changement de ministère.
Pendant ce temps, les premiers groupes d’émeutiers ont commencé à se heurter à la police et à la gendarmerie aux alentours du Palais-Royal. Les premières barricades sont dressées par des étudiants et des ouvriers de l’Association des patriotes de Morhéry. La foule est exaspérée par l’annonce de la nomination du maréchal Marmont, duc de Raguse, au commandement de la 1re division militaire, c’est-à-dire de Paris. Comme Bourmont, Marmont représente, aux yeux du peuple, l’archétype du traître, celui dont la défection, en 1814, a contraint Napoléon à abdiquer. Poussés par quelques meneurs, les manifestants harcèlent les troupes à coups de pavés, de briques ou de pots de fleurs. Finalement, au début de la soirée, les soldats se mettent à tirer. On ramasse, sur le pavé, les premiers cadavres que les républicains brandissent comme des trophées, pour exciter le gros des émeutiers à l’insurrection. La Révolution de 1830 commence véritablement à ce moment-là.
28 juillet : la révolution populaire
Au matin du
28 juillet, le centre et l’est de la capitale sont hérissés de barricades. 10 000 insurgés pillent les armureries en chantant
La Marseillaise. À onze heures du matin, les ministres, Polignac en tête, viennent se réfugier auprès de Marmont au
Palais des Tuileries. Marmont juge la situation très sérieuse ; il envoie à
Charles X, qui se trouve au château de Saint-Cloud, le célèbre message :
- « Ce n’est plus une émeute, c’est une révolution. Il est urgent que Votre Majesté décide des moyens de pacification. L’honneur de la couronne peut être encore sauvé. Demain peut-être il ne serait plus temps. »
Charles X ne répond pas mais, dans la soirée, Polignac informe Marmont que le roi vient de signer une ordonnance mettant Paris en état de siège : Marmont reçoit donc les pleins pouvoirs pour écraser la révolution. Mais il ne dispose que de quelque 10 000 hommes, la capitale ayant été dégarnie pour constituer le corps expéditionnaire d’Alger, envoyer des troupes en Normandie pour tenter de rassurer la population inquiétée par la vague d’incendies criminels, et couvrir la frontière du Nord, car l’on craint des troubles en Belgique.
Durant la journée du 28, les soldats, mal ravitaillés en vivres et en munitions, sont pris au piège des ruelles étroites du vieux Paris, cisaillées de barricades, sous des pluies de projectiles divers. En fin de matinée, les insurgés se rendent maîtres de l’Hôtel de ville, au sommet duquel ils hissent le drapeau tricolore, provoquant une intense émotion dans la population parisienne. Plusieurs fois perdu et repris au cours de la journée, le bâtiment, hautement symbolique, finit par rester aux mains des insurgés.
Talleyrand se trouve dans son hôtel de Saint-Florentin, à l’angle de la Place de la Concorde. À cinq heures de l’après-midi, son secrétaire, Colmache, lui annonce que le tocsin qu’on entend au loin signifie que le peuple a pris l’Hôtel de ville.
- « Quelques minutes encore, dit le prince de Bénévent, et Charles X ne sera plus roi de de France. »
Pendant ce temps-là, les députés libéraux continuent de rechercher une solution de compromis. Le général Gérard, député de l’Oise familier du duc d’Orléans, envoie discrètement le docteur Thiébaut auprès du baron de Vitrolles pour le déterminer à faire une démarche auprès du roi afin d’obtenir le retrait des ordonnances. Vitrolles se rend à Saint-Cloud dans l’après-midi et rencontre pendant deux heures Charles X, qui continue de refuser toute concession. À midi, les députés se retrouvent chez Pierre-François Audry de Puyraveau, où l’on trouve notamment pour la première fois Laffitte et La Fayette, qui viennent de revenir dans la capitale. Ils désignent une commission de cinq membres – Laffitte, Delessert, Perier, les généraux Gérard et Mouton – chargée d’aller négocier avec Marmont pour obtenir un cessez-le-feu, et adoptent la protestation présentée par Guizot, qui impute prudemment aux seuls ministres, accusés d’avoir « trompé le roi », la responsabilité des ordonnances et laisse ainsi ouverte la possibilité d’une sortie de crise par le renvoi du ministère et le retrait des ordonnances.
Vers quatorze heures trente, la délégation des députés est reçue par Marmont aux Tuileries. Le maréchal, invoquant les ordres reçus, exige la fin de l’insurrection comme préalable à un ordre de cesser le feu, tandis que les députés réclament le retrait des ordonnances et le renvoi des ministres comme préalable à l’arrêt de l’émeute. La discussion tourne court, d’autant que Polignac, retranché dans une pièce voisine, refuse de recevoir les députés. Ceux-ci quittent les Tuileries vers quinze heures. Marmont envoie aussitôt un message à Charles X pour lui rendre compte et conclut : « Je pense qu’il est urgent que Votre Majesté profite sans délai des ouvertures qui lui ont été faites. », tandis que Polignac envoie, de son côté, un émissaire, sans doute porteur du conseil de ne pas céder un pouce de terrain. En fin d’après-midi, Marmont reçoit la réponse du roi : il l’invite à « tenir ferme » et à concentrer ses troupes entre le Louvre et les Champs-Élysées.
Au même moment, les députés sont à nouveau réunis, cette fois chez Louis Bérard. Ils refusent de signer la protestation rédigée par Guizot, préférant laisser publier le texte imprimé, qu’ils pourront toujours désavouer en fonction de l’évolution de la situation. Il est vrai que la situation demeure incertaine. Le gouvernement a lancé des mandats d’arrêt contre La Fayette, Gérard, Mauguin, Audry de Puyraveau, Salverte et André Marchais, secrétaire de la société « Aide toi, le ciel t'aidera ». Thiers est parti se cacher près de Pontoise tandis que Rémusat a trouvé refuge chez le duc de Broglie.
Jacques Laffitte, qui vient de rentrer de sa propriété de Breteuil, est le premier à engager des démarches auprès du duc d’Orléans. Au Palais-Royal, il prend contact avec le secrétaire des commandements du duc, Oudard, qui transmet à Louis-Philippe, à Neuilly, un message promettant au prince que Laffitte travaillera pour lui sans le compromettre, mais lui recommandant de « ne pas se compromettre lui-même en se faisant prendre dans les filets de Saint-Cloud ». Averti, dans la nuit du 27 au 28, par la femme de Taillepied de Bondy qu’un bataillon de la garde royale, caserné au faubourg Saint-Honoré, a reçu l’ordre de cerner le château de Neuilly « au moindre mouvement qui pourrait faire supposer l’intention de mêler à une insurrection », Louis-Philippe passe la nuit du 28 au 29 dans une ancienne Orangerie aménagée en Magnanerie, qui flanque le petit château de Villiers, à la limite de la propriété.
29 juillet : le triomphe de l’insurrection
Pendant la nuit du 28 au 29 juillet, de nouvelles barricades ont été élevées. Le jeudi 29, à l’aube, Marmont a dû se concentrer sur une bande qui va du
Louvre à l’
Étoile en passant par les
Tuileries et les Champs-Élysées. Dans la matinée, le 5e et le 53e régiments de ligne, qui tiennent la
Place Vendôme, passent aux insurgés. Cette double défection entraîne l’effondrement du dispositif militaire : pour colmater la brèche, Marmont doit dégarnir le Louvre et les
Tuileries qui, attaqués, tombent aux mains des insurgés tandis que les troupes royales se replient en désordre à travers les Champs-Élysées jusqu’à l’Étoile. Dans la soirée, l’insurrection est maîtresse de Paris et les débris de l’armée royale ont pris position dans le
Bois de Boulogne pour protéger le château de Saint-Cloud.
Au petit matin, deux pairs, le marquis de Sémonville et le comte d’Argout, se rendent aux Tuileries pour demander à Polignac de démissionner et d’obtenir le retrait des ordonnances. À l’issue d’une entrevue orageuse, les deux pairs d’un côté, le président du Conseil de l’autre, se précipitent vers Saint-Cloud où ils arrivent en même temps, et s’opposent devant Charles X, pendant qu’on apporte à ce dernier la nouvelle de la débandade des troupes de Marmont.
Tôt le matin, le baron de Vitrolles a également reçu par l’intermédiaire du docteur Thiébaut une nouvelle communication du général Gérard qui lui indique que, désormais, outre le retrait des ordonnances, le roi doit renvoyer Polignac et confier au duc de Mortemart le soin de former un nouveau ministère dans lequel entreraient Gérard et Perier. Charles X accepte ces conditions et charge Sémonville, d’Argout et Vitrolles de retourner à Paris pour faire connaître son acceptation.
Dans la matinée, une réunion chez Laffitte rassemble députés et journalistes. Laffitte a envoyé Oudard à Neuilly pour dire au duc d’Orléans qu’il est urgent qu’il prenne position. La Fayette annonce qu’il a accepté de prendre le commandement de la Garde nationale, dissoute en 1827 et qui vient de se reconstituer. Contre l’avis des républicains qui, avec Audry de Puyraveau, voudraient la création d’un gouvernement provisoire, Guizot, appuyé par Bertin de Vaux et Méchin, propose de former une commission municipale provisoire qui se chargerait d’administrer la capitale devant la carence des pouvoirs civil et militaire. Cette proposition est acceptée. Laffitte, qui ne veut pas être cantonné à un rôle municipal, et Gérard, qui va prendre le commandement des troupes parisiennes, se dérobent de sorte que la commission est composée de Casimir Perier, Mouton de Lobau, Audry de Puyraveau, Mauguin et Auguste de Schonen. La commission et La Fayette s’installent au milieu de l’après-midi à l’Hôtel de ville.
Après avoir perdu un temps considérable à franchir les barricades, Sémonville, d’Argout et Vitrolles, partis de Saint-Cloud en fin d’après-midi, n’arrivent à l’Hôtel de ville qu’à huit heures du soir. Ils sont reçus par la commission municipale et La Fayette, qui demandent des preuves officielles du renvoi de Polignac, que les émissaires sont incapables de leur fournir. Découragé, Sémonville va se coucher au Palais du Luxembourg, tandis que d’Argout se rend, non sans difficultés, chez Laffitte, où les députés réunis paraissent plutôt favorables au maintien de Charles X sur son trône avec le duc de Mortemart comme Premier ministre. À dix heures du soir, d’Argout repart pour Saint-Cloud pour aller chercher le duc de Mortemart. Les députés lui ont indiqué qu’ils l’attendraient jusqu’à une heure du matin. À une heure et demie, il n’est pas rentré, la réunion se disperse, les parlementaires vont se coucher. Les émeutiers sont alors les maîtres de la capitale. L’heure de la solution de compromis est passée. Avec elle, c’est le trône de Charles X qui est désormais condamné.
30 et 31 juillet : la récupération bourgeoise
Le 30 juillet, députés et journalistes entrent en scène pour récupérer la révolution populaire au profit de la bourgeoisie, en jouant sur la peur. Après quelques jours d’hésitation entre république et solution orléaniste, la
Monarchie de Juillet est finalement instituée. La bourgeoisie parisienne dame le pion aux républicains désorganisés.
30 juillet : l’élimination de Charles X et de l’option républicaine
L’offensive est lancée dès l’aube du vendredi 30 juillet par
Laffitte et
Thiers, avec la bienveillante complicité de Talleyrand qui, depuis quelque temps mise sur le
duc d’Orléans pour sauver la monarchie constitutionnelle. Laffitte reçoit chez lui les trois rédacteurs du
National : Thiers, Mignet,
Carrel. Il ne craint pas la menace bonapartiste, car le
duc de Reichstadt est en
Autriche et la quasi-totalité des dignitaires de l’
Empire sont ralliés à la monarchie, mais il redoute qu’avec l’arrivée incessante du duc de Mortemart, les députés ne se laissent séduire par une
Régence assortie de la proclamation du petit-fils de
Charles X, le
duc de Bordeaux, sous le nom de Henri V. Les quatre hommes conviennent qu’il faut prendre cette solution de vitesse en proclamant sans attendre le duc d’Orléans. Thiers et Mignet rédigent aussitôt un texte qui est imprimé sous forme d’affiche dans les ateliers du
National et placardé partout dans Paris pour que les Parisiens le découvrent à leur réveil :
- « Charles X ne peut plus rentrer dans Paris : il a fait couler le sang du peuple.
- La république nous exposerait à d’affreuses divisions ; elle nous brouillerait avec l’Europe.
- Le duc d’Orléans est un prince dévoué à la cause de la Révolution.
- Le duc d’Orléans ne s’est jamais battu contre nous.
- Le duc d’Orléans a porté au feu les couleurs tricolores.
- Le duc d’Orléans peut seul les porter encore ; nous n’en voulons pas d’autres.
- Le duc d’Orléans s’est prononcé ; il accepte la Charte comme nous l’avons toujours voulue et entendue. C’est du peuple français qu’il tiendra sa couronne. »
Il ne reste plus qu’à neutraliser Mortemart, et surtout La Fayette, porte-drapeau des républicains, et à convaincre le duc d’Orléans, qui n’a pas révélé ses intentions, d’accepter la couronne.
S’agissant de La Fayette, Charles de Rémusat, qui a épousé sa petite-fille, est allé le sonder à l’Hôtel de ville dans la matinée. Le choix, lui dit-il, est entre le duc d’Orléans et la république. Dans le cas de la république, La Fayette accepterait-il d’en prendre la direction ? Le vieux général, qui n’a aucune envie de porter le fardeau du pouvoir, se dérobe : « Le duc d’Orléans sera roi », répond-il.
S’agissant du duc de Mortemart, il n’est arrivé à Paris, accompagné du comte d’Argout, que dans la matinée. Il a prévu de se rendre chez Laffitte, puis à l’Hôtel de ville, mais il rencontre sur le chemin Bérard et son beau-père, le général Mathieu Dumas, qui lui annoncent que les députés qui s’étaient réunis chez le banquier viennent de se séparer mais qu’ils se retrouveront à midi au Palais-Bourbon pour confier au duc d’Orléans la lieutenance générale du royaume. Au duc de Mortemart, qui lui montre les ordonnances dont il est porteur, Bérard répond froidement : « Charles X a cessé de régner. Il est trop tard, le moment où un traité était possible est passé, il ne reviendra jamais. » Effondré, Mortemart renonce à se rendre à l’Hôtel de ville et se précipite au Palais du Luxembourg où Sémonville a réuni quelques pairs. L’un d’entre eux, le comte de Sussy, s’offre d’aller notifier les ordonnances à l’Hôtel de ville après en avoir fait faire des copies certifiées conformes : aimablement accueilli par La Fayette, il doit fuir sous les huées de la foule lorsque celui-ci donne lecture des ordonnances.
Au Palais Bourbon, les députés, réunis à midi, refusent de recevoir les ordonnances en considérant que Charles X a cessé de régner et désignent une commission de cinq membres pour aller discuter avec les pairs : Augustin Perier, Horace Sébastiani, François Guizot, Benjamin Delessert et Jean-Guillaume Hyde de Neuville. Au Palais du Luxembourg, les députés expliquent au duc de Mortemart que Charles X a cessé de régner et que le duc d’Orléans est désormais le seul rempart contre la république. Mortemart, tout en protestant qu’il ne peut, comme ministre de Charles X, entrer dans un tel raisonnement, finit par reconnaître que la lieutenance générale du duc d’Orléans lui semblerait, dans les circonstances de l’heure, la moins mauvaise des solutions. La plupart des pairs présents opinent dans le même sens et Sébastiani est envoyé au Palais Bourbon pour communiquer cette délibération aux députés.
Il ne reste plus qu’à convaincre le duc d’Orléans que le moment est venu de se découvrir. Or Louis-Philippe craint d’entrer prématurément dans Paris. Au matin du 30 juillet, rien ne démontre que Charles X est complètement hors jeu : il est encore à Saint-Cloud, vient de nommer un nouveau gouvernement, peut abdiquer en faveur du duc de Bordeaux... Le duc d’Orléans juge prudent d’attendre et, dans la matinée, son Aide de camp, le général de Rumigny, l’a prévenu, de la part de quelques députés, que les parlementaires voudraient l’appeler sur le trône, mais que Charles X pourrait tenter de le faire arrêter. Aussi quitte-t-il discrètement son domaine de Neuilly par Levallois pour se rendre dans son Château du Raincy, beaucoup plus éloigné de Saint-Cloud.
Vers midi, les députés se réunissent au Palais-Bourbon. Seul Hyde de Neuville parle en faveur de Charles X, et ils ne sont qu’une poignée à évoquer la république ; tous les autres sont favorables au duc d’Orléans, mais se divisent sur les conditions de son arrivée au pouvoir : certains veulent le proclamer lieutenant général du royaume, tandis que d’autres voudraient l’élever tout de suite sur le trône.
Article détaillé : .
En définitive, en début d’après-midi, les députés s’accordent sur la première formule et adoptent une proposition rédigée par Benjamin Constant qui « prie S.A.R. Mgr le duc d’Orléans de se rendre dans la capitale pour y exercer les fonctions de lieutenant général du royaume » et « lui exprime le voeu de conserver les couleurs nationales ».
Dans la matinée, les députés ont décidé d’envoyer Henri de Rigny, accompagné de Jean Vatout, sonder le duc d’Orléans au Château de Neuilly ; mais Thiers, muni par Laffitte et Sébastiani de lettres d’introduction et accompagné du peintre Ary Scheffer, familier de la famille d’Orléans, est parti à toute allure sur de bons chevaux prêtés par le prince de la Moskowa, gendre de Laffitte, pour leur griller la politesse. Thiers, arrivé le premier, ne trouve pas le duc d’Orléans à Neuilly, mais, tandis que la duchesse lui explique « qu’il est impossible que accepte tant que le roi est encore à Saint-Cloud », Mademoiselle, soeur du duc, paraît lui accorder une attention beaucoup plus complaisante. Il faut éviter, dit-elle, de « donner à la révolution le caractère d’une révolution de palais, d’une intrigue du duc d’Orléans » et de provoquer une intervention des puissances étrangères. Thiers fait valoir que la solution orléaniste peut seule sauver la France de l’anarchie et que les puissances, soulagées de voir la France échapper à la république, ne pourront qu’approuver le changement de dynastie. En définitive, l’intrépide Mademoiselle conclut : « Si vous croyez que l’adhésion de notre famille peut être utile à la révolution, nous vous la donnons bien volontiers ! », et elle va même jusqu’à envisager de se rendre elle-même à Paris pour accepter la lieutenance générale au nom de son frère : « Il faut que la Chambre des députés se prononce, mais cela fait, mon frère ne peut hésiter, et, s’il le faut, j’irai moi-même à Paris et je promettrai en son nom, sur la place du Palais-Royal, au milieu du peuple des barricades. »
Vis-à-vis de Rigny, arrivé sur ces entrefaites, la duchesse oscille entre légitimisme et tentation de la lieutenance générale. Toute la journée, les visiteurs se pressent à Neuilly : « La demeure du duc d’Orléans assiégée par le zèle des uns, par l’importunité des autres ; ambitieux ou dévoués, tous arriv au prince, la couronne de France dans la poche. » À Dupin aîné et Persil, la duchesse soutient que « son mari ne veut pas devenir usurpateur » et qu’il ne veut pas qu’on puisse dire que la révolution a été accomplie « pour mettre le duc d’Orléans sur le trône » et non « pour défendre les libertés nationales ». Mais, pendant qu’elle joue ainsi la comédie de la vertu, elle envoie vers une heure Oudard au Raincy pour tenir Louis-Philippe au courant et lui conseiller de revenir sans tarder à Neuilly. Arrive, peu après, Lasteyrie, gendre de La Fayette, pour faire savoir de la part de ce dernier « qu’il faut se dépêcher parce qu’il est difficile de contenir le peuple ». La duchesse envoie aussitôt à son mari un second messager, le jeune Anatole de Montesquiou-Fézensac, qui parcourt à bride abattue les vingt kilomètres qui séparent Neuilly du Raincy, où il arrive en milieu d’après-midi.
Après avoir adopté la résolution préparée par Benjamin Constant, les députés tirent au sort une commission de douze membres pour aller la notifier au duc d’Orléans au Palais-Royal. N’y trouvant pas Louis-Philippe, la commission envoie à Neuilly un jeune maître des requêtes, Langlois d’Amilly, chargé d’annoncer son arrivée prochaine. Il est suivi de peu par Alexandre Méchin. Tous deux, épaulés par le poète Casimir Delavigne, tentent de convaincre la duchesse, qui s’y refuse, de l’urgence à s’engager.
En début de soirée, Louis-Philippe, accompagné de Montesquiou et d’Oudard, rentre à Neuilly et se cache dans le parc, au carrefour des Poteaux-Ronds. Dans le bosquet des Tourniquets, il est rejoint vers huit heures du soir par sa femme et par sa soeur. C’est là qu’il décide d’accepter la résolution des députés car celle-ci, ne précisant pas au nom de qui la lieutenance générale sera exercée, semble suffisamment vague pour préserver l’avenir. Il fait venir les douze commissaires envoyés par les députés et, à la lumière des torches, écoute la lecture de la proclamation et y donne son accord.
31 juillet : l’entrée en scène de Louis-Philippe
Arborant à la boutonnière un ruban tricolore, vêtu d’une redingote grise et d’un chapeau rond, Louis-Philippe, accompagné du
baron de Berthois, d’Oudard et du
colonel Heymes, quitte Neuilly à pied par la grille du parc, vers dix heures du soir et se dirige vers le
Palais-Royal. Sur le chemin, il s’arrête à l’hôtel de Saint-Florentin chez Talleyrand et s’assure de l’appui de ce dernier. Il arrive au Palais-Royal peu avant minuit et, par une porte dérobée, va se coucher dans une chambre de l’appartement d’Oudard, non sans avoir envoyé mander le duc de Mortemart.
Pendant ce temps, Heymes se rend chez Jacques Laffitte qu’il tire de son lit à une heure et demie du matin pour lui annoncer que le duc d’Orléans recevra les députés à neuf heures au Palais-Royal. Il se rend ensuite au Palais du Luxembourg où il arrive vers deux heures du matin. Il réveille le duc de Mortemart et parvient à le convaincre de le suivre auprès de Louis-Philippe. Partis vers trois heures du matin, les deux hommes parviennent, après bien des détours, à rejoindre le Palais-Royal. Conduit par Berthois à travers un dédale de corridors et d’escaliers dérobés, Mortemart est introduit à quatre heures du matin auprès de Louis-Philippe, qui dort sur un matelas jeté à même le sol d’une petite pièce. Il fait une chaleur suffocante. Le duc d’Orléans se lève, dépoitraillé, sans perruque, en sueur et débite avec animation un long discours destiné à convaincre Mortemart de sa fidélité à Charles X : « Si vous voyez le roi avant moi, conclut-il, dites-lui qu’il m’ont amené de force à Paris que je me ferai mettre en pièces plutôt que de me laisser poser la couronne sur la tête. » Puis, annonçant à Mortemart que les députés présents à Paris l’ont nommé lieutenant général du royaume pour faire barrage à la république, il lui demande si ses pouvoirs lui permettent de reconnaître cette nomination au nom de Charles X. Mortemart ayant répondu par la négative, Louis-Philippe lui remet une lettre destinée au roi dans laquelle, après avoir protesté de sa loyauté, il déclare que si on le contraint à exercer le pouvoir, il ne l’acceptera que « temporairement et dans l’intérêt de maison ».
Mais, peu après, au matin, Louis-Philippe apprend que Charles X, cédant à la panique et au découragement, vient de quitter Saint-Cloud pour Trianon. Aussitôt, il fait rappeler le duc de Mortemart et lui redemande sa lettre, sous prétexte d’y apporter une correction. Pour Louis-Philippe, à cet instant, les dès sont jetés : le trône est vacant, il ne lui reste plus qu’à s’y asseoir.
Dès neuf heures du matin, après s’être entretenu avec Méchin, Dupin et Sébastiani, il reçoit la délégation des députés auprès de qui il finasse. Il affirme qu’il ne peut se prononcer tout de suite sur la lieutenance générale en raison de ses liens de famille avec Charles X lui imposent « des devoirs personnels et d’une nature étroite » et des avis qu’il dit vouloir demander « à des personnes en qui il a confiance et qui ne sont pas encore ici ». La manoeuvre réussit parfaitement : les députés le supplient d’accepter, agitant le spectre de la république qui peut être proclamée à tout instant à l’Hôtel de ville ; ainsi, Louis-Philippe pourra toujours affirmer qu’on lui a forcé la main, et qu’il ne s’est dévoué que pour sauver la monarchie.
Louis-Philippe se retire alors avec Sébastiani et Dupin avec qui il rédige un projet de proclamation qui, après quelques amendements mineurs, est accepté par les députés présents :
- « Habitants de Paris ! Les députés de la France, en ce moment réunis à Paris, ont exprimé le désir que je me rendisse dans cette capitale pour y exercer les fonctions de lieutenant général du royaume. Je n’ai pas balancé à venir partager vos dangers, à me placer au milieu de votre héroïque population, et à faire tous mes efforts pour vous préserver de la guerre civile et de l’anarchie.. En rentrant dans la ville de Paris, je portais avec orgueil ces couleurs glorieuses que vous avez reprises, et que j’avais moi-même longtemps portées. Les chambres vont se réunir ; elles aviseront aux moyens d’assurer le régime des lois et le maintien des droits de la nation. La Charte sera désormais une vérité. »
Recevant cette proclamation, les députés y répondent en début d’après-midi :
- « Français ! La France est libre. Le pouvoir absolu levait son drapeau, l’héroïque population de Paris l’a abattu. Paris attaqué a fait triompher par les armes la cause sacrée qui venait de triompher en vain dans les élections. Un pouvoir usurpateur de nos droits, perturbateur de notre repos, menaçait à la fois la liberté et l’ordre ; nous rentrons en possession de l’ordre et de la liberté. Plus de craintes pour les droits acquis, plus de barrières entre nous et les droits qui nous manquent encore.
- Un gouvernement qui, sans délai, nous garantisse ces biens est aujourd’hui le premier besoin de la patrie. Français ! Ceux de vos députés qui se trouvent déjà à Paris se sont réunis, et, en attendant l’intervention régulière des chambres, ils ont invité un Français qui n’a jamais combattu que pour la France, M. le duc d’Orléans, à exercer les fonctions de lieutenant général du royaume. C’est à leurs yeux le moyen d’accomplir promptement, par la paix, le succès de la plus légitime défense.
- Le duc d’Orléans est dévoué à la cause nationale et constitutionnelle. Il en a toujours défendu les intérêts et professé les principes. Il respectera nos droits, car il tiendra de nous les siens. nous nous assurerons par des lois toutes les garanties nécessaires pour rendre la liberté forte et durable :
- Le rétablissement de la Garde nationale avec l’intervention des gardes nationaux dans le choix des officiers.
- L’intervention des citoyens dans la formation des administrations départementales et municipales.
- Le jury pour les délits de presse.
- La responsabilité légalement organisée des ministres et des agents secondaires de l’administration.
- L’état des militaires légalement assuré.
- La réélection des députés promus à des fonctions publiques.
- Nous donnerons à nos institutions, de concert avec le chef de l’État, les développements dont elles ont besoin.
- Français, le duc d’Orléans lui-même a déjà parlé, et son langage est celui qui convient à un pays libre : les chambres vont se réunir, vous dit-il ; elles aviseront au moyen d’assurer le règne des lois et le maintien des droits de la nation.
- La Charte sera désormais une vérité. »
Signé par quelque 90 députés, l’acte est porté au début de l’après-midi au Palais-Royal. Mais la manoeuvre en faveur du duc d’Orléans, sitôt connue à l’Hôtel de ville, suscite la fureur des républicains. Le duc de Chartres, accouru de Joigny, est arrêté à Montrouge et menacé d’être passé par les armes : il faut l’intervention personnelle de La Fayette pour obtenir sa libération. La commission municipale, en réaction, cherche à se transformer en gouvernement provisoire, lance une proclamation qui affecte d’ignorer celle des députés et nomme des commissaires provisoires aux différents départements ministériels.
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Il est temps pour Louis-Philippe de se rendre à l’Hôtel de ville pour conjurer définitivement, avec la complicité de La Fayette, le spectre républicain. La manoeuvre n’est pas sans risques, mais elle est indispensable. Vers deux heures de l’après-midi, un cortège picaresque quitte le Palais-Royal : « Le duc d’Orléans, raconte Chateaubriand, ayant pris le parti d’aller faire confirmer son titre par les tribuns de l’Hôtel de Ville, descendit dans la cour du Palais-Royal, entouré de quatre-vingt-dix-neuf députés en casquettes, en chapeaux ronds, en habits, en redingotes Le candidat royal est monté sur un cheval blanc ; il est suivi de Benjamin Constant dans une chaise à porteurs ballottée par deux Savoyards. MM. Méchin et Viennet, couverts de sueur et de poussière, marchent entre le cheval blanc du monarque futur et le député goutteux, se querellant avec les deux crocheteurs pour garder les distances voulues. Un tambour à moitié ivre battait la caisse à la tête du cortège. Quatre huissiers servaient de licteurs. Les députés les plus zélés meuglaient : Vive le duc d’Orléans ! »
Mais au fur et à mesure que le cortège, le long des quais de la Seine, progresse difficilement à travers les barricades en direction de l’Hôtel de ville, ce sont d’autres cris qui s’élèvent d’une foule de plus en plus hostile : « À bas les Bourbons ! Plus de Bourbons ! À mort les Bourbons ! À bas le duc d’Orléans ! » Arrivé à l’Hôtel de ville, Louis-Philippe, qui a revêtu un uniforme de la garde nationale, lance, sans parvenir à détendre l’atmosphère :
- – Messieurs, c’est un ancien garde national qui fait visite à son ancien général !
Le trait est accueilli par des murmures hostiles : « Vive La Fayette ! À bas les Bourbons ! » Embrassant le vieux général qui s’avance vers lui en boitant, Louis-Philippe, séducteur, s’écrie :
- – Ah ! C’est par suite de la blessure que vous avez reçue en Amérique, à la bataille de la Brandywine !
- – Ah ! Monseigneur, quelle mémoire ! s’extasie La Fayette, flatté.
Viennet, député de l’Hérault, donne lecture de la proclamation des députés, qui est accueillie par des applaudissements lorsqu’elle promet la garantie des libertés publiques. Louis-Philippe répond gravement : « Je déplore comme Français le mal fait au pays et le sang versé ; comme prince, je suis heureux de contribuer au bonheur de la nation. » C’est alors que surgit un énergumène nommé Dubourg, placé là par le journaliste Dumoulin, pilier du parti bonapartiste. Il apostrophe Louis-Philippe : « On dit que vous êtes un honnête homme, et comme tel incapable de manquer à vos serments. J’aime à le croire, mais il est bon que vous soyez prévenu que si vous ne les tenez pas, on saurait vous les faire tenir. » Le duc d’Orléans répond avec superbe : « Vous ne me connaissez pas, Monsieur ! Vous apprendrez à me connaître. Je ne vous ai donné aucun droit de m’adresser de semblables paroles. Je n’ai jamais manqué à mes serments, et ce n’est pas quand la Patrie me réclame que je songerais à la trahir. »
Pour effacer l’impression pénible laissée par cette scène, La Fayette entraîne Louis-Philippe au balcon de l’Hôtel de ville où les deux hommes se donnent une accolade théâtrale, enveloppés dans les plis d’un immense drapeau tricolore. La brillante mise en scène retourne la foule hostile massée sur la place de Grève : le « baiser républicain » de La Fayette, selon l’ironique formule de Chateaubriand, vient d’asseoir définitivement Louis-Philippe sur le trône.
Louis-Philippe regagne le Palais Royal par la Rue Saint-Honoré où il reçoit un accueil plus chaleureux, distribuant sur son chemin de nombreuses poignées de main aux badauds : c’est sans doute l’un des premiers bains de foule de l’histoire. La foule le suit jusqu’au Palais Royal qu’elle investit bruyamment. Au début de la soirée, lorsque la duchesse d’Orléans et Mademoiselle Adélaïde arrivent au Palais Royal, elles trouvent un spectacle qui leur semble fort déplaisant : « Nous avons trouvé mon mari, raconte la duchesse, avec M. Dupin et le général Sébastiani. Les deux salons de son appartement étaient remplis de toutes sortes de personnes ; le drapeau tricolore flottait partout ; les fenêtres et les murailles étaient percées de balles ; des chants et des danses sur la place ; partout un air de désordre et de confusion qui faisaient mal. »
Les conséquences de la révolution de Juillet
Débouchant, en France, sur la fondation d'un nouveau régime, la monarchie de Juillet, qui conforte l'association aux affaires publiques de la bourgeoisie industrielle et financière, les Trois Glorieuses sont également à l'origine d'une première effervescence révolutionnaire en Europe, annonciatrice du « printemps des peuples » de
1848 mais qui, hormis la création de la
Belgique, appuyée avec force par la France, ne débouche pas sur des changements durables.
Conséquences en France
En une dizaine de jours, Louis-Philippe d’Orléans consolide son pouvoir, et écarte toute menace républicaine tandis que Charles X et sa famille prennent la route de l'exil. D’abord désigné « lieutenant-général du royaume », Louis-Philippe est reconnu « roi des Français » le
9 août 1830.
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Rupture symbolique avec le passé, la monarchie de Juillet prend comme emblème le drapeau tricolore bleu-blanc-rouge. Rompant avec le « parti prêtre », le nouveau régime s’affirme beaucoup plus laïc que son prédécesseur. Les libéraux entrent en force au gouvernement. Mais la Charte de 1814 n’est que superficiellement toilettée, et le droit de vote n’est que peu étendu par la loi électorale du 19 avril 1831.
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Le nouveau régime s’installe avec l’assentiment d’une bonne partie de l’opinion, hostile à la République, et que la ré-interprétation laïque, bourgeoise et libérale de la Charte satisfait. Mais il est contesté, sur sa gauche par les républicains et sur sa droite par les légitimistes :
- Les activistes républicains, peu nombreux, mais déterminés, et profondément déçus par les premiers pas de la monarchie bourgeoise, harcèlent le ministère. Des émeutes, parfois armées, toujours rapidement réprimées, secouent sporadiquement le pays, de 1831 à 1839. Ainsi, par exemple, les émeutes déclenchées les 5, 6 et 7 juin 1832, à l’occasion des obsèques du général Lamarque, député républicain, font 800 morts. Du 9 au 15 avril 1834 à Lyon, la seconde Révolte des Canuts fait près de 600 morts. Le roi est également visé par plusieurs tentatives d’assassinat.
- Tout comme les républicains, les légitimistes contestent le nouveau régime. En 1832, le complot dit « de la rue des Prouvaires » tente d’assassiner Louis-Philippe, et une tentative d’insurrection royaliste est menée sans succès dans l’Ouest de la France.
Finalement stabilisé, le régime dure jusqu’à la révolution française de 1848.
Articles détaillés : .
Conséquences en Europe
La
Sainte-Alliance, formée en
1815 par les souverains vainqueurs de
Napoléon Ⅰer devait empêcher toute révolution en Europe. Elle avait d’ailleurs mené plusieurs opérations militaires en ce sens dans les années 1820. Mais en 1830, l'Angleterre s'empresse de reconnaître la
Monarchie de Juillet et, après quelques hésitations, les autres souverains signataires de l’alliance –
Autriche,
Prusse,
Russie – décident de ne pas intervenir et de reconnaître à leur tour le nouveau régime.
L’exemple français et l’absence de réaction internationale provoquent alors une série de mouvements nationalistes et libéraux à travers toute l’Europe.
En Allemagne
En
Allemagne, alors sans gouvernement central, des mouvements libéraux éclatent en
Saxe, au
Brunswick (
7-
8 septembre), en
Hesse, en
Prusse rhénane.
À Brunswick, le duc régnant, Charles II, célèbre par ses excentricités, et qui, au lendemain des Trois Glorieuses, avait promis d'écraser dans le sang toute tentative d'insurrection, doit fuir ses États au début de septembre. Son frère cadet, Guillaume VIII, est alors proclamé lieutenant général, puis duc règnant.
Au Hanovre, les étudiants de Göttingen créent une milice qui impose au souverain une constitution.
En Allemagne du Sud, les libéraux réunis à Hambach (Palatinat), plaident en faveur d’une République fédérale allemande et hissent le drapeau noir, rouge et or de la Burschenschaft, symbole de la nouvelle Allemagne.
En Italie
En
Italie,
Ciro Menotti fonde à
Bologne,
Parme,
Mantoue et en
Romagne une série de noyaux révolutionnaires avec pour mot d’ordre « indépendance, union et liberté ».
En 1831, une vague révolutionnaire secoue l’Italie centrale. Les Carbonari résidant à Paris, liés aux libéraux qui viennent de réussir la révolution de Juillet, pensent que le nouveau gouvernement français présidé par Jacques Laffitte découragera une intervention autrichienne en Italie. À Rome, en décembre 1830, les deux fils de Louis Bonaparte, Napoléon-Louis et Louis-Napoléon complotent ; ils sont expulsés. En février 1831, le Duc de Modène, François IV, doit s’enfuir ; il en est de même pour la duchesse Marie-Louise à Parme.
Le 26 février, une assemblée des délégués des régions révoltées proclame les « Provinces Unies d’Italie ». Mais le nouveau gouvernement français présidé par Casimir Perier (mars 1831) retire son soutien aux Italiens, laissant la voie libre à une intervention autrichienne. Les ducs sont rétablis sur leurs trônes. Des révolutionnaires, dont Menotti, sont exécutés.
À Rome, le pape Grégoire XVI et le cardinal Bernetti rétablissent l’absolutisme et, en 1832, écrasent un soulèvement dans les Marches et les Légations. Jusqu’en 1838, des troupes autrichiennes y stationneront pour empêcher tout nouveau mouvement, les Français occupant, en contrepartie, la ville d'Ancône.
À Marseille, le révolutionnaire italien Giuseppe Mazzini fonde alors le mouvement Jeune Italie (Giovine Italia), association composée de jeunes patriotes qui se propose de libérer et d’unifier l’Italie et d’y instaurer un régime républicain. Au total, la révolution de 1830-1831 a été un échec, mais elle annonce les nouveaux mouvements insurrectionnels italiens de 1848.
En Belgique
En
Belgique, la politique maladroite des Hollandais provoque l’
insurrection bruxelloise du
25 août 1830. Le
4 septembre, le mouvement s’amplifie et reçoit le soutien des Liégeois. Le
20 septembre, la garde bourgeoise de
Bruxelles, formée d’éléments modérés, est désarmée par les émeutiers.
Les 23-26 septembre, l’échec d’une intervention militaire néerlandaise à Bruxelles pousse radicaux et modérés à se liguer (les « Quatre Journées »). Le 27 septembre, les insurgés belges arrêtent les troupes néerlandaises devant Bruxelles et les repoussent jusqu’à l’ancienne frontière des Pays-Bas autrichiens. Le 4 octobre, c’est la proclamation à Bruxelles de l’indépendance de la Belgique par un gouvernement provisoire qui convoque un Congrès national pour la fin novembre.
Article détaillé : .
Ce Congrès décide de donner à la Belgique un statut de monarchie constitutionnelle et d’exclure de la couronne les membres de la maison d’Orange-Nassau. Le 20 décembre, la Conférence de Londres reconnaît l’indépendance de la Belgique. le 7 février 1831, la Constitution belge est proclamée, inspirée du libéralisme bourgeois et catholique, qui entérine la création d’une monarchie parlementaire bicamérale et héréditaire.
En Europe de l'Est
En Europe de l’Est, on assiste à la scission des nationalistes tchèques entre conservateurs (pro-russes) et radicaux (démocrates regroupés au sein de la « matice česká »).
En Pologne, le tsar Nicolas Ier de Russie, qui veut intervenir contre les Belges au nom de la Sainte-Alliance, donne l’ordre de mobilisation des troupes polonaises le 18 novembre. Opposés à cette intervention, les nationalistes déclenchent le 29 novembre l’Insurrection de Novembre.
Voir l'article Insurrection de Novembre en Pologne (1830-1831)
Le ministre du Trésor et de l’Industrie Drucki-Lubecki prend les choses en mains afin de négocier avec le tsar et de maintenir le mouvement révolutionnaire dans des voies modérées : il crée un Conseil administratif. Les patriotes mettent un club sur pied, la Société patriotique, dont un des chefs est l’historien Joachim Lelewel. Le 18 décembre, le Sejm (la Diète polonaise) affirme le caractère national de l’insurrection.
Le tsar annonce son intention de reconquérir militairement le pays. Le soulèvement est violemment réprimé après la défaite des nationalistes, affaiblis par le Choléra, à Ostrołęka le 26 mai, et la prise de Varsovie le 8 septembre 1831.
La Russie soumet alors la Pologne à une politique de répression et de russification. La Pologne cesse d’exister comme nation. Les Russes entreprennent une destruction systématique de la nationalité polonaise. La Constitution, la Diète et l’armée polonaises sont abolies, les Polonais privés de leurs libertés individuelles. Les universités sont fermées, les étudiants envoyés en Russie, les catholiques persécutés. Dix mille patriotes s’exilent vers la Suisse, la Belgique et la France. Manifestations, émeutes et représailles sanglantes se succèdent.
Les conséquences : synthèse
La révolution française de 1830 et ses conséquences n’ont pas bouleversé le paysage institutionnel, ni en France ni en Europe, à l’exception du cas belge. Mais pour la première fois depuis les
Années 1790, une vague de révolutions populaires a traversé l’Europe. L’année
1848 verra se reproduire le phénomène, sur une plus vaste échelle, sous le nom de « printemps des peuples ».
Le régime constitutionnel français se libéralise nettement et le changement de cadres est net. Dans les seules institutions scientifiques, on peut par exemple relever le retour en grâce de hauts fonctionnaires du Premier Empire comme Hachette et Poinsot, et le départ de Cauchy. Les penseurs libéraux Abel-François Villemain et François Guizot deviennent ministres, et Jules Michelet obtient un poste de professeur à la Faculté des Lettres de la Sorbonne : les idées révolutionnaires, libérales, nationalistes et républicaines en sortent renforcées.
Postérité
- « À la gloire des citoyens français qui s’armèrent et combattirent pour la défense des libertés publiques dans les mémorables journées des 27, 28, 29 juillet 1830 ». Le fût de la colonne porte le nom des victimes des journées révolutionnaires de juillet 1830.
- Le 11 octobre 1830, le nouveau régime décida que des récompenses seraient accordées à tous les blessés des Trois Glorieuses et créa une médaille commémorative pour les combattants de la révolution de Juillet. En avril 1831, Casimir Perier fit frapper des médailles commémoratives portant la mention « donné par le roi » et dont la remise était accompagnée d'un serment de fidélité à Louis-Philippe.
- En octobre 1830, le gouvernement présenta en outre un projet de loi destiné à indemniser à concurrence de 7 millions les victimes des journées de Juillet.
Références
Voir aussi
Liens externes
Sources
- Guy Antonetti, Louis-Philippe, Librairie Arthème Fayard, Paris, 2002 (ISBN 2-213-59222-7)
- José Cabanis, Charles X, roi ultra, Gallimard, Paris, 1973
Bibliographie
- J.-L. Courson, 1830 : la Révolution tricolore, 1965
- David H. Pinkney, The French Revolution of 1830, 1972 ; trad. française : La Révolution de 1830 en France, Paris, Presses universitaires de France, 1988 (ISBN 2-13-040275-5)
- Emmanuel de Waresquiel, Benoît Yvert, Histoire de la Restauration (1814-1830), Perrin, Paris, 2002 (ISBN 2-262-01901-0)
- Bernard Sarrans, "Lafayette et la Révolution de 1830, histoire des choses et des hommes de Juillet", Librairie de Thoisnier Desplaces, Paris, 1833 (seconde édition augmentée)
- Alexandre Dumas, "Ma Révolution de 1830", (extraits des Mémoires d'Alexandre Dumas), Horizons de France, Paris, non daté.
Notes
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Évènement de 1830 |
Date | 1829-1830 | 18 mars 1830 | 16 mai 1830 | 25-26 juillet 1830 | 27-28-29 juillet 1830 | 29 juillet-9 août | 9 août 1830-1848 |
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Évènement | Conflit Polignac/Assemblée | Adresse des 221 | Dissolution | Ordonnances de Juillet | Trois Glorieuses | Hésitation | Monarchie de Juillet |
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