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Ubu roi est une pièce de théâtre d'Alfred Jarry appartenant au cycle d'Ubu publiée le 25 avril 1896 dans Le livre d'Art (revue de Paul Fort) et représentée pour la première fois le 10 décembre 1896. Il s'agit de la première pièce du cycle dUbu.
Cette pièce est considérée comme précurseur du mouvement surréaliste et du théâtre de l'absurde. Jarry y mêle provocation, absurde, farce, parodie et humour gras.
Parmi les adaptations de cette pièce du film et du théâtre il y a aussi une opéra Ubu Rex de Krzysztof Penderecki.
Résumé
Acte IBien que le Père Ubu soit content de ses titres , «capitaine de dragons, officier de confiance du roi Venceslas, décoré de l'ordre de l'Aigle Rouge de Pologne, et ancien roi d'Aragon», la Mère Ubu essaye de le convaincre de conspirer pour renverser le roi Venceslas, ce qui lui permettrait, entre autres avantages, de «manger fort souvent de l'andouille» et de se «procurer un parapluie». Invitant à sa table le capitaine Bordure («Eh bien, capitaine, avez-vous bien dîné? - Fort bien, monsieur, sauf la merdre. - Eh! La merdre n'était pas mauvaise.») il le rallie à sa cause en lui promettant de le faire duc de Lituanie. Appelé par le roi, il croit être découvert («Oh! J'ai une idée : je dirai que c'est la Mère Ubu et Bordure...») mais en fait Venceslas le nomme comte de Sandomir en récompense de ses nombreux services, ce qui d'ailleurs ne change rien à ses projets. Le plan d'action est arrêté et chacun jure «de bien tuer le roi».
Acte II
Venceslas fait fi des avertissements de sa famille et accompagne le Père Ubu à une revue où Bordure et ses partisans l'assassinent. Si deux fils du roi, Boleslas et Ladislas, sont tués par les putschistes, le dernier, Bougrelas, s'enfuit avec la reine qui meurt peu après. Encouragé par le spectre de ses ancêtres (allusion à Hamlet!), Bougrelas jure de se venger. De son côté, le Père Ubu, après s'être fait prier, accorde ses largesses au peuple («Ça ne m'amusait guère de vous donner de l'argent, mais vous savez, c'est la Mère Ubu qui a voulu. Au moins, promettez-moi de bien payer les impôts.») et s'en fait acclamer.
Acte III
Négligeant les conseils de prudence de la Mère Ubu, le Père Ubu décide de ne pas nommer le capitaine Bordure duc de Lituanie. Après quoi, il se lance dans une vaste politique de réformes qui consiste à massacrer («Ceux qui seront condamnés à mort, je les passerai dans la trappe, ils tomberont dans les sous-sols du Pince-Porc et de la Chambre-à-Sous, où on les décervèlera») tous les nobles (dont les biens sont confisqués), tous les magistrats (qui ne seront plus payés mais vivront des amendes et des biens des condamnés à mort) puis tous les financiers qui refusent la fiscalité nouvelle («D'abord je veux garder pour moi la moitié des impôts», lesquels sont bouleversés : «Messieurs, nous établirons un impôt de 10% sur la propriété, un autre sur le commerce et l'industrie et un troisième sur les mariages et un quatrième sur les décès, de 15 Francs chacun»; bien que le Père Ubu soit habituellement présenté comme une caricature de la bourgeoisie, on doit reconnaître que ce programme -un impôt sur le capital, la TVA et des droits de succession- est typiquement socialiste). Le Père Ubu rassure la Mère Ubu effrayée par cette hécatombe qui désorganise l'État : «Ne crains rien, ma douce enfant, j'irai moi-même de village en village recueillir les impôts.» Il a d'ailleurs un programme politique très précis : «Avec ce système, j'aurai vite fait fortune, alors je tuerai tout le monde et je m'en irai.» Effectivement, escorté des «Grippe-Sous» et de «salopins de finance» traînant le «voiturin à phynances», le Père Ubu va en personne rançonner les paysans (dont le chef s'appelle Stanislas Leczinski) et massacrer ceux qui résistent. La révolte éclate aussitôt. Puis il fait jeter en prison le capitaine Bordure qui s'évade et court à Moscou proposer au czar Alexis d'envahir la Pologne et rétablir Bougrelas. Quand la nouvelle arrive à Varsovie, la Mère Ubu et tous les conseillers obligent le Père Ubu à partir en guerre, monté sur son «cheval à phynances». La Mère Ubu reçoit la régence.
Acte IV
La Mère Ubu essaye de s'emparer du trésor des rois de Pologne mais est chassée par une révolte menée par Bougrelas. Pendant ce temps, le Père Ubu s'est enfoncé en Ukraine avec l'armée polonaise. Il apprend la révolte de Varsovie et les Russes arrivent. Le Père Ubu livre une bataille aussi burlesque qu'épique où il est battu à plates coutures. Réfugié dans une caverne de Lituanie avec deux de ses derniers palotins, il doit la disputer à un ours. Son comportement indigne conduit ses compagnons à l'abandonner pendant son sommeil.
Acte V
La Mère Ubu arrive dans la caverne pendant le sommeil (agité) du Père Ubu et essaye de se faire passer pour une apparition pour qu'il lui pardonne ses voleries, mais en vain. Le jour se lève, révélant la supercherie et provoquant une scène de ménage qui n'est interrompue que par l'arrivée de Bougrelas. Père et Mère Ubu, faisant front commun, se défendent avec acharnement et sont sauvés par le retour inattendu des deux palotins d'Ubu avec des renforts. Traversant la Livonie, Père et Mère Ubu embarquent pour la France où le Père Ubu envisage de se faire «nommer Maître des Finances à Paris.»
Personnages
La galerie des personnages comporte quelques particularités : beaucoup de personnages de la pièce n'apparaissent que pour un court instant, certains sont de réels personnages historiques russes ou polonais, des ensembles sont considérés comme un seul personnage (
Toute l'Armée russe et
Toute l'Armée polonaise) et un objet, la Machine à Décerveler, est créditée comme étant un personnage.
- Père Ubu
- Mère Ubu
- Capitaine Bordure
- Le Roi Venceslas
- La Reine Rosemonde
- Boleslas, iglesias, Bougrelas: leurs fils
- Le Général Lascy
- Stanislas Leczinski
- Jean Sobieski
- Nicolas Rensky
- L'Empereur Alexis
- Giron, Pile, Cotice: Palotins
- Conjurés et Soldats
- Peuple
- Michel Fédérovitch
- Nobles
- Magistrats
- Conseillers
- Financiers
- Larbins de Phynances
- Paysans
- Toute l'Armée russe
- Toute l'Armée polonaise
- Les Gardes
- Un Capitaine
- L'Ours
- Le Cheval à Phynances
- La Machine à Décerveler
- L'Equipage
- Le Commandant
Les Lieux
La
Pologne évoquée par Jarry est un pays légendaire, mythique, mais en même temps elle présente des caractères de la Pologne réelle. Voici la liste des principaux lieux :
- L'Espagne (L'Aragon, La Castille)
- La France (Paris, Mondragon)
- Le Danemark (Elseneur)
- La Germanie (L'Allemagne)
Il y a plus de 24 décors :
- Le Palais Royal
- Le champ de bataille
- La crypte
- Deux grottes
- Sur un navire (à la fin de la pièce)
- La maison d'Ubu
- Dans la forêt
Première représentation
Lors de la première, qui se passe le 10 décembre 1896 au théâtre de l'OEuvre à Paris, Jarry lit un discours introductif d'une voix faible, de façon quasiment inaudible des spectateurs, où il annonce que l'action se passe « en Pologne, c’est-à-dire nulle part ». Le public s'échauffe, et de ce fait réagit dès le « Merdre ! » inaugural : la pièce fait scandale.
A noter que durant la générale, le public, pourtant composé d'amis de Jarry, réagira aussi : la générale se passe bien, jusqu'au troisième acte, où un acteur joue une porte de prison en tendant son bras, et le père Ubu fait tourner un doigt dans sa main pour déverrouiller la porte, et la "porte de prison" pivote de quatre-vingt dix degrés en grinçant...
Notes sur la pièce
De nombreuses références à
Macbeth de
Shakespeare sont présentes dans la pièce qui débute avec un jeu de mot sur le nom de l'auteur anglais :
« Adonc le Père Ubu hoscha la poire, dont fut depuis nommé par les Anglois Shakespeare, et avez de lui sous ce nom maintes belles tragoedies par escript. »Le père Ubu emploie plusieurs expressions inventées par Jarry, comme le « De par ma chandelle verte », ou le fameux épenthèse « Merdre » (inventé lui par les lycéens de Rennes).
Jarry s'est inspiré de son professeur de physique de lycée, monsieur Hébert, qui était pour les élèves l'incarnation même du grotesque ; on le surnommait « le père Hébert », et plusieurs des farces écrites par les lycéens relataient les aventures de P.H., diminutif gentillet comparé aux déclinaisons que l'on faisait de son nom : Ebé, Eb, Ebon, Ebance, Ebouille, etc. Les étudiants s'enchantaient tout particulièrement de l'affection que l'enseignant avait pour l'andouille. Tous les doubles sens sémantiques devenaient possible.
Revenons aux origines : Charles, l’aîné des frères Morin, aura un jour rédigé un épisode tribulatoire du bien malheureux P. H. en Pologne, dont il devenait roi. De là plus tardivement, sera tiré le titre Les Polonais : « Les Polonais. Pièce en cinq acte de MM. Charles et Henri M(orin), auteur de la Bastringue, de La Prise d’Ismaël et de bien d’autres ouvrages sur le P. H. ».
Lorsque Jarry prit connaissance du petit livret écrit plus tôt, il le remania en comédie pour le monter ensuite dans le grenier des Morin, en décembre 1888 et en janvier 1889, puis en 1890 dans l’appartement où il vit avec sa mère et sa soeur. La pièce est jouée par les marionnettes du "Théâtre des Phynances" ; Jarry fera ensuite un décor pour un théâtre d’ombre où Henri Morin interprète le rôle du P.H., toujours roi des Polonais. La satire s’intitule toujours les Polonais et c’est la plus ancienne, ainsi que la plus proche, version de la première pièce du cycle d’Ubu.
Arrivé à Paris en 1891, Jarry louera un local qu’il utilisera en atelier, portant le nom décalé du « Calvaire du trucidé ». Avec ses nouveaux condisciples et amis, il organise diverses représentations d’où renait le cycle d’Ubu qui aura subi plusieurs retouches pour arriver à sa forme quasi-définitive. C’est alors que le Père Hébert devient le Père Ubu.
C’est en gagnant le concours de prose du journal L’Écho de Paris littéraire illustré que Jarry fera la connaissance de Marcel Schwob à qui il voue une grande estime et amitié. Grâce à sa renommée naissante, il rencontre et se lie avec Alfred Valette, le directeur du Mercure de France, et sa femme Rachilde, qui habitent dans la rue de l'Échaudé Saint-Germain (glorifiée dans la chanson du Décervelage). En 1894 il y produira, pour les familiers de la maison, une version d’Ubu Roi qui plut beaucoup.
Vers la fin de sa vie, Alfred Jarry se mettait de plus en plus à ressembler à son personnage : il se mit à parler comme lui, et signait toutes ses lettres du nom d'Ubu.
Notes
Sources
Bibliographie
- Alfred Jarry (notes & présentation Michel Arrivé), OEuvres complètes I, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1972.
- Ubu Roi, éd. Mille et une nuits, Paris, 2000 (avec une postface de Joël Gayraud).
- Jean-Hugues Sainmont, « Ubu ou la création d'un mythe », dans les Cahiers du Collège de 'Pataphysique n°3-4, 1951.