(Complexe d'Œdipe) Pour les articles homonymes, voir Complexe d'OEdipe (homonymie).
Concept théorique central de la première topique de Sigmund Freud, et l'une des découvertes principales de la Psychanalyse, le complexe d'OEdipe se définit comme l'ensemble de pulsions qui pousse l'enfant mâle, lors du troisième stade du développement (stade « oedipien » ou « génital », entre deux et trois ans, après le stade « oral » et le stade « sadique-anal »), à ressentir une attirance pour sa mère et une hostilité pour son père.
Découverte et description du complexe
Freud découvre le complexe au cours d'une auto-analyse, en méditant sur l'histoire du héros grec
OEdipe, telle qu'elle est narrée dans l'oeuvre de
Sophocle. Dans ses premiers écrits, Freud parle plus volontiers de « complexe nucléaire » ou « complexe maternel ». Ce n'est qu'en
1910, dans son texte intitulé
Contribution à la psychologie de la vie amoureuse qu'apparaît le terme « complexe d'OEdipe ».
Selon Freud, l'élaboration d'un complexe d'OEdipe constitue une étape normale dans le développement psychologique des garçons. La mère étant perçue, depuis le premier stade du développement, comme la « nourricière » qui procure du plaisir (en donnant le sein), le petit garçon tend progressivement à « se l'approprier ». Cette pulsion tendre déclenche le complexe proprement dit, qui se déroule alors en trois phases :
- La phase phallique
- Le garçon a l'intuition des jeux sexuels existants entre ses parents et prend conscience qu'il existe entre eux une complicité d'où il est exclu. La frustration qu'il en ressent provoque plusieurs comportements typiques où l'enfant tente de s'interposer entre son père et sa mère (il entre dans la chambre parentale sans frapper, par exemple). Il finit par entrer en rivalité directe avec son père et exhibe son pénis à sa mère.
- La Castration symbolique
- Le père s'oppose aux désirs de l'enfant et prend, aux yeux du garçon, la stature d'une figure autoritaire susceptible de le punir. L'enfant s'imagine la castration soit comme sanction par le père dans leur rivalité (on parle alors de « complexe d'OEdipe positif »), soit comme identification à la mère dans un désir inversé de séduire alors le père (il s'agit dans ce cas d'un « complexe d'OEdipe inversé », lequel rend compte de l'ambivalence et de la bisexualité humaine). Dans un cas comme dans l'autre, cependant, les pulsions sexuelles constitutives du complexe sont refoulées. Aussi cette étape génère-t-elle souvent des traumatismes et des névroses.
- La résolution du conflit
-
- Le refoulement des pulsions sexuelles dure jusqu'à l'adolescence, âge auquel la crainte de la castration amène le garçon à renoncer à la satisfaction sexuelle avec l'un ou l'autre de ses parents et lui permet ainsi de sortir du complexe d'OEdipe, de chercher d'autres partenaires sexuels que sa mère, et de construire désormais sa propre personnalité en empruntant des éléments aussi bien à son père qu'à sa mère.
Examen critique du complexe
Freud croyait le complexe d'OEdipe universel. Aussi a-t-il tenté de montrer que la plupart des troubles psychiques susceptibles d'affecter des patients mâles découlent d'un complexe d'OEdipe mal (ou pas) résolu. Freud prouve une étonnante virtuosité dans cet exercice (lire par exemple l'ouvrage pratique
Cinq psychanalyses).
Néanmoins, le complexe a pu être critiqué selon plusieurs angles.
Au sein même de l'école psychanalytique « orthodoxe »
Freud lui-même était conscient que le modèle du complexe d'OEdipe ne pouvait s'adapter tel quel au cas de la petite fille. Le complexe d'OEdipe explique en effet comment le garçon dépasse l'attirance sexuelle envers sa mère « nourricière » pour la diriger vers d'autres femmes : or, pour la petite fille aussi, la mère se présente, dans les premiers stades du développement, comme la « nourricière ». Si le complexe d'OEdipe fonctionne de manière similaire chez la fille et chez le garçon, alors on ne comprend plus pourquoi les femmes, une fois adultes, sont attirées par les hommes. Il existe une asymétrie dont la psychanalyse tente de rendre compte avec la notion de complexe d’Électre.
Claude Lévi-Strauss trouvait pour le moins abusif que Freud fondât l'essentiel de la
Psychologie humaine sur une « pièce de théâtre de
Sophocle », pièce n'ayant pas par ailleurs le côté de
mythe fondateur de l'esprit européen (l'individu s'opposant à la Cité) qu'est sa tragédie
Antigone. Dans
La Potière jalouse (1985), il rédigea donc une « contre-explication » parodique où il faisait dériver toute cette psychologie d'une pièce d'
Eugène Labiche,
Un chapeau de paille d'Italie. Cet essai qualifié de « plaisant, mais rigoureux » (
« On y voyait entre autres l'oncle Vézinet, frappé de surdité, faire écho par-delà les siècles à l'aveugle Tirésias, non seulement par leur infirmité partagée mais également en ce qu'ils détiennent la clef de l'intrigue sans pour autant la pouvoir dénouer ») a été mentionné par plusieurs auteurs, dont
Michel Serres.
Des critiques plus sérieuses ont également été mises en avant par l'ethnologie. En particulier, la notion de complexe d'OEdipe paraît indissociable d'une forme familiale précise, dite "nucléaire", où le père, la mère et les enfants vivent sous le même toit et où le père biologique exerce l'autorité parentale sur l'enfant. Or, nous enseigne l'ethnologie de la famille, cette forme d'organisation familiale n'a rien d'universel : dans de très nombreuses cultures, le dépositaire de l'autorité vis-à-vis de l'enfant n'est pas le père, mais l'oncle maternel, d'où de très nombreuses difficultés puisque le complexe d'OEdipe tel qu'il est décrit par Freud suppose une identité entre le père biologique (avec lequel la mère partage une complicité que l'enfant jalouse) et la figure paternelle autoritaire qui s'interpose entre l'enfant et la mère. Si ces deux rôles sont dissociés, il n'est pas sûr que le complexe d'OEdipe puisse se déclencher.
Cette question continue de nourrir un débat extrêmement vif, en particulier dans le contexte social actuel qui voit se développer en Occident des formes nouvelles de la famille (en particulier la monoparentalité et la recomposition). Aujourd'hui, de nombreux psychanalystes tentent d'aménager la notion théorique de complexe d'OEdipe aux cas de figure où l'autorité paternelle s'avère absente, intermittente, ou partagée entre plusieurs pères.
Au sein même de la psychanalyse, cependant, un courant dissident émergea des travaux de Jung, lequel soumet la vie psychique non seulement à des pulsions individuelles inconscientes (comme le pensait
Freud), mais également, à un niveau très différent, à un inconscient collectif. Jung n'a jamais partagé l'idée de Freud d'un désir
sexuel de l'enfant pour le parent de sexe opposé. Ce faisant Jung ne déniait pas au désir incestueux son importance primordiale dans le psychisme humain : pour lui ce désir était bien plus un désir anobjectal de retour à l'en-deçà de la vie (pour y renaître) qu'un désir sexuel (voir
Pulsion de mort). Dès lors il lui était impossible d'admettre le complexe d'OEdipe comme universel.
Article détaillé : . L'Anti-OEdipe. Capitalisme et schizophrénie, paru en 1972 aux éditions de Minuit.
La critique constructiviste de Mikkel Borch-Jacobsen
Dans
Folies à Plusieurs, paru en 2002 aux éditions des Empêcheurs de penser en rond, l'historien des psychothérapies et polémiste Mikkel Borch-Jacobsen souligne que
Freud affirme l'universalité de l'oedipe de façon parfaitement arbitraire, en dehors de tout matériel clinique (si ce n'est celui, particulièrement suspect, fourni par la prétendue "autoanalyse"), afin de trouver une explication ad hoc aux constants récits de séduction paternelle de ses patients. Selon l'analyse de Borch-Jacobsen, ces récits n'étaient pas dus à un quelconque oedipe mais bien plutôt aux
suggestions induites par les croyances de Freud lui-même à propos de l'étiologie sexuelle des névroses et des psychoses.
Références
Articles liés
Bibliographie
- Sigmund Freud :
- Un type particulier de choix d'objet chez l'homme, 1910, in La vie sexuelle, PUF 1969
- Totem et Tabou, 1913, Gallimard 1993
- Melanie Klein, Les stades précoces du conflit oedipien, 1928, in Essais de psychanalyse, Payot 1968
- Melanie Klein : Le complexe d'Oedipe Ed.: Payot-Poche, 2006, (ISBN 2228900680)
- Ernest Jones, Hamlet et OEdipe avec la préface de Jean Starobinski "Hamlet et Freud", 1948, Gallimard 1967
- Cléopâtre Athanassiou-Popesco, Un Étrange itinéraire psychanalytique: OEdipe roi, Hublot, 1999, (ISBN 2912186099)
- Collectif : La censure de l'amante, et autres préludes à l'oeuvre de Michel Fain', Delachaux & Niestle, 1999, (ISBN 2603011626)
- Moustapha Safouan, Études sur l'OEdipe, Seuil 1974
- L'Oedipe, un complexe universel Collectif (Freud, Anzieu, Jones, Malinowski, Reich, Deleuze, Guattari, Klein, etc.) Ed: Sand & Tchou, 2004, (ISBN 2710705885)
- Jean Cournut: "Epitres aux Oedipiens", PUF, 1997, (ISBN 2130487955) - EAN : 9782130487951
- Jean-Pierre Vernant, OEdipe sans complexe, in Mythe et tragédie en Grèce ancienne, 1972
- Annick de Souzenelle, Oedipe intérieur, Albin Michel,1999
- Sous la dir.: de Guy Cabrol: Actualité de l'Oedipe, Monographie de la Revue française de psychanalyse, PUF, 2007, ISBN 9782130564065
Liens externes